Le premier retrait de la CPI

Le 27 octobre 2017, le Burundi est devenu le premier pays à se retirer du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Le retrait de cet Etat de la CPI pose question quant à l’enquête préliminaire sur la situation dans le pays en cours depuis avril 2015.

L’Enquête préliminaire (EP) du bureau du procureur de la CPI au Burundi, considérée comme étant en phase de détermination du sujet (phase 2) au moment du dernier rapport (14 novembre 2016), examine les crimes présumés du Statut de Rome : assassinats, détentions arbitraires, disparitions forcées, torture et violences sexuelles commises dans le pays depuis avril 2015.

Cette fiche d’information passe en revue les antécédents de l’EP et réfléchit à l’avenir du Burundi en tant qu’Etat non-partie.

 

Les Consequences juridiques du retrait du Burundi au statut de Rome de la CPI

Factsheet sur Le Burundi et la Cour pénale internationale

 

Burundi : 13 ans d’adhésion à la CPI

Le gouvernement du Burundi a signé le Statut de Rome (SR) le 13 janvier 1999, et a ratifié le traité le 21 septembre 2004, devenant alors le 95e Etat-partie du Statut de Rome. La CPI a pu exercer sa compétence sur les crimes du Statut de Rome commis sur le territoire du Burundi, ou par ses ressortissants, depuis le 1er décembre 2004 lorsque le SR est entré en vigueur pour le pays.

Au cours de ces 13 années en tant qu’Etat-partie, le gouvernement du Burundi a promulgué une législation (en 2009) intégrant pleinement les définitions de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide dans son code pénal. Cependant, il n'a pas encore mis en œuvre de dispositions cruciales liées au SR concernant la coopération avec la CPI.

 

Un pays en pleine tourmente

De 1993 à 2005, le Burundi a connu des affrontements ethniques entre groupes Hutu et Tutsi. En 2005, le principal groupe rebelle, le Conseil national pour la défense des forces démocratiques pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), avec le soutien des Hutus et sous la direction du politicien Pierre Nkurunziza, est entré au gouvernement. Après les élections législatives et sénatoriales gérées par le CNDD-FDD la même année, Nkurunziza a été élu président.

Quand Nkurunziza a été réélu en 2010, les groupes d’opposition ont dénoncé le résultat comme relevant de la fraude, évoquant l’intimidation des électeurs par les soldats et la police. L’élection est alors devenue un referendum public sur le président en exercice (Nkurunziza) suite au retrait de tous les candidats de l’opposition qui, en boycottant les élections présidentielles de 2010, ont affirmé que les élections locales avaient été truquées par le parti au pouvoir le CNDD.

Fin avril 2015, le président Nkurunziza a annoncé, avec l’approbation de la Cour constitutionnelle du Burundi, qu’il aspirait à une réélection pour un troisième mandat, ce qui allait à l’encontre de la limite des deux mandats fixés par les accords d’Arusha. Cette annonce a été accueillie par des manifestations quotidiennes pendant plusieurs mois. Ces dernières sont devenues violentes et meurtrières, les autorités ayant répondu de façon illégale par la force et la répression.

Les élections présidentielles ont eu lieu le 21 juillet 2015, en dépit des manifestations et des violences en cours, et Nkurunziza a été déclaré vainqueur par la commission électorale burundaise. La violence et d’autres graves violations des droits de l’homme ont continué après les résultats des élections.

Selon les statistiques du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés et selon l'Organisation internationale des migrations, en juin 2017, plus de 418 000 personnes avaient été obligées de fuir le Burundi depuis le 1er avril 2015, avec 534 000 réfugiés burundais prévus fin 2017. Pendant ce temps en mai 2017, 209.202 personnes étaient déplacées à l'intérieur du Burundi, dont 69.734 en lien avec la crise actuelle.

 

Le procureur de la CPI lance une enquête préliminaire

En novembre 2015, dans une déclaration sur la détérioration de la situation sécuritaire au Burundi, le procureur Bensouda a rappelé que « toute personne au Burundi qui incite ou engage des actes de violence, en ordonnant, demandant, encourageant ou contribuant de toute autre manière à la commission de crimes tombant sous la compétence de la CPI étaient passibles de poursuites devant la Cour », soulignant, entre autres, la notion de responsabilité individuelle pour les acteurs étatiques ou non étatiques.

En avril 2016, après avoir passé en revue les communications de l’article 15 du SR et les rapports alléguant des meurtres, des emprisonnements, des tortures, des disparitions forcées, des viols et autres formes de violences sexuelles au Burundi, le bureau du procureur a annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire sur la situation au Burundi depuis avril 2015.

Au moment de l’annonce de l’EP, plus de 430 personnes auraient été tuées et au moins 3400 arrêtées, et plus de 230 000 burundais forcés à trouver refuge dans les pays voisins.

Le rapport 2016 de l’EP a fait été des crimes allégués, en particulier les meurtres relevant de son examen, en trois périodes. Une première période comprend les crimes commis avant les élections du 21 juillet 2015, une seconde couvre les mois suivants jusqu’aux événements de Bujumbura du 11 au 12 décembre 2015. Une troisième période comprend les crimes déguisés ou cachés ainsi que les crimes en cours.

Bien que le rapport de l’EP prenne note des conclusions des experts indépendants de l’ONU mentionnant que la grande majorité des violences peut être attribuée aux acteurs de l’Etat, il mentionne également plusieurs allégations de violence commises par des membres armés de l’opposition politique. Cependant, une estimation précise du nombre de victimes de crimes présumés non-étatique n’était pas disponible au moment du dernier rapport du bureau du procureur (14 novembre 2016).

 

L’enquête indépendante des Nations-Unies au Burundi

En septembre 2016, le rapport final sur l’enquête indépendante de l’ONU au Burundi a été publié, relatif à ce qui a été décrit comme une situation de « violations généralisées et systématiques des droits » dans le pays. L’UNIIB, mis en place par le Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies en décembre 2015, et dirigé par trois experts indépendants, était chargé « d'enquêter sur les violations et les abus des droits de l'homme en vue de prévenir une détérioration accentuée de la situation des droits de l’homme ».

Le rapport de l’UNIIB a conclu que les violations commises répondaient à un schéma « délibéré et résultaient de décisions conscientes ». Plus précisément, le rapport a mis en lumière des exécutions à grande échelle, apparement perpétrées par les forces de sécurité, avec une majorité de victimes opposées à un 3e mandat de Nkurunziza ; des disparitions forcées, également attribuées par des témoins à de hauts fonctionnaires du gouvernement ; une répression systématique de la société civile, des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes ; un modèle de violences sexuelles et sexistes ciblant les femmes et les filles en fuite liées aux dissidents masculins et le recours répandu à la torture et aux mauvais traitements entre autres violations.

N’étant pas convaincu par les mécanismes de responsabilisation au Burundi, inquiet face « à la tendance générale du gouvernement à diviser les ethnies par la rhétorique » et face à la menace potentielle pour la paix et la sécurité dans la région des grands lacs, l’UNIIB a exhorté le gouvernement et l’Union africaine, de même que le Conseil de sécurité de l’ONU et d’autres acteurs internationaux, à prendre des mesures rapides et vigoureuses.

Ce même mois, le Conseil des droits de l’homme a créé la Commission d’enquête sur le Burundi (COL), dotée d’un mandat de un an, pour mener des investigations approfondies sur les violations des droits de l’homme et les abus commis dans le pays depuis avril 2015. Depuis le début, le gouvernement du Burundi a refusé de coopérer avec la COL, empêchant les trois experts de la commission d’accéder au pays.

 

Le Burundi annonce son retrait de la CPI

En octobre 2016, six mois après que la CPI a annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire, et quelques semaines après le rapport de l’UNIIB, le parlement du Burundi a voté en faveur du retrait du pays du Statut de Rome. Comme indiqué dans les dispositions du SR, le gouvernement du Burundi a notifié sa décision au Secrétariat des Nations-Unies par une « note verbale » écrite le même mois. Le retrait a pris effet le 27 octobre 2017, soit un an après réception de cet avis.

 

Crimes contre l’humanité allégués : conclusions de la Commission d’enquête et avenir

Dans son rapport final, publié le 4 septembre 2017, la COL du Burundi a déclaré qu’elle avait « des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l’humanité avaient été commis et continuaient à être commis au Burundi depuis avril 2015 ». La COL a affirmé que la plupart de ces violations étaient commises par des agents de l’Etat et a demandé à la CPI d’ouvrir de toute une urgence une enquête sur la situation au Burundi.

Le 29 septembre 2017, le Conseil des droits de l’Homme a adopté une résolution proposée par l’Union européenne et prorogeant le mandat de la COL d’une année supplémentaire. Le Conseil avait adopté la veille une résolution de dernière minute, présentée par un groupe de pays africains, à savoir envoyer une équipe de trois experts pour travailler en collaboration avec le gouvernement du Burundi.

En réponse à la résolution africaine qui a précédé le vote, l’Union Européenne a noté qu’elle n’avait pas fait l’objet d’une consultation officielle sur le plan de la procédure, qu’elle n’était disponible qu’en français, et n’offrait que peu de temps pour être examinée sérieusement. En substance, le texte a été critiqué pour n’avoir retenu que certains aspects de la proposition européenne en omettant les conclusions des enquêteurs de la COL sur la situation des droits de l’homme dans le pays, et oubliant de prendre en compte le manque de coopération du gouvernement burundais avec la COL. Les Etats-Unis ont fait écho à plusieurs des préoccupations de l’UE en votant contre cette résolution.

 

L’impact sur l’enquête préliminaire

C'est la première fois qu'un État membre de la CPI se retire du Statut de Rome. Les opinions divergent quant à l'impact du retrait sur l'examen préliminaire existant.

Au moment où le retrait prenait effet le 27 octobre, la situation au Burundi faisait l'objet d'un examen préliminaire, et non d'une enquête officielle de la CPI, ce qui signifie que le Procureur n'avait pas encore été autorisé à engager des poursuites devant la Cour.

L'incertitude s'est accrue autour de la capacité de la Cour à faire passer l'examen préliminaire à une enquête complète et à des poursuites éventuelles en raison de la nature sans précédent du retrait. A l'issue du retrait, le porte-parole de la CPI, Fadi El-Abdallah, a déclaré que : "L'article 127 stipule que le retrait n'affecte pas la compétence de la CPI pour les crimes commis alors que l'Etat était un Etat partie."

Amnesty International a déclaré que le procureur conserverait des motifs d'ouvrir une enquête formelle, tandis que Human Rights Watch a appelé la Cour à appliquer une approche progressive dans l'interprétation de sa compétence.

Ni une enquête proprio motu, ni une enquête renvoyée par un Etat-partie ne seront possibles après l’entrée en vigueur du retrait du Burundi et la clôture de l’enquête préliminaire dans le pays.

Toutefois, si une enquête officielle devait être approuvée le 27 octobre, le retrait du Burundi ne déchargerait pas le pays de ses obligations de coopérer à l’enquête de la CPI.

Dans le cas où aucun renvoi ne soit fait par un Etat-partie ou une enquête proprio motu approuvée par les juges avant le 27 octobre, la CPI pourrait quand même obtenir compétence pour enquêter officiellement sur la situation au Burundi - qui serait alors un Etat non-partie - par le biais d'un renvoi du Conseil de sécurité de l'ONU (article 13b de la RS, Chapitre VII de la Charte des Nations-Unies). En effet, le bureau du procureur a actuellement des enquêtes en cours sur des situations dans des pays non-parties tels que la Libye et le Soudan en raison de l'activation de la compétence par le biais de ces renvois du CSNU.

Il existe une solide base juridique permettant à toute saisine du CSNU d'inclure également une obligation pour le Burundi - ainsi que pour les autres États membres de l'ONU - de coopérer à l'enquête découlant de ce renvoi.

 

La société civile dans le collimateur

La Coalition nationale du Burundi pour la CPI (BCICC), réseau de la société civile d’ONG burundaise et de praticiens oeuvrant pour la responsabilisation et la justice pour les crimes internationaux, a longtemps attiré l’attention sur les allégations de crimes graves au Burundi, joignant aux conclusions de l’EP de la CPI, les rapports de l’UNIIB et de la Col. La Coalition a dû ensuite faire face à de lourdes conséquences.

En outre, comme en témoignent les conclusions du Comité contre la torture (CAT) en 2016, des représentants de la BCICC et d’autres membres d’une coalition de la société civile ont été soumis à des représailles et des radiations pour avoir porté à l’intention du CAT le fait que le gouvernement recourait à la détention arbitraire.

Le 19 octobre 2016, le ministre de l’Intérieur, Pascal Barandagiye, a signé un ordre ministériel portant sur la dissolution définitive de cinq ONG burundaises, suivi le 24 octobre de la suspension provisoire de 5 ONG supplémentaires dont la BCICC. Ces mesures ont été suivies en décembre 2016 par l’adoption par l’Assemblée nationale de deux projets de loi obligeant les ONG locales à obtenir l’autorisation du ministre de l’Intérieur pour exercer leurs activités.

En réponse à cela, trois rapporteurs spéciaux des Nations Unies ont condamné ce qu’ils considèrent comme « un modèle de ciblage systématique des organisations des droits de l’homme et des défenseurs de ces droits » dans le pays.

Même après de tels cas de répression grave et avant corroboration par les conclusions de la COL, les groupes de la société civile du Burundi continuent à exiger une enquête de la CPI, insistant sur le fait qu’avec des dispositifs nationaux inopérants, la CPI reste le seul organe capable de fournir une justice indépendante et efficace pour les crimes du SR commis au Burundi depuis avril 2015.

 

A propos du système de la CPI et du Statut de Rome

Créé par un traité international, le SR, la CPI est la seule instance judiciaire internationale permanente capable de juger des individus pour génocides, crimes contre l’humanité et crimes de guerre quand les tribunaux nationaux ne peuvent pas ou ne sont pas disposés à le faire. Cette institution indépendante (1) ne peut poursuivre que les crimes intervenus à partir de 2002, date de sa création.

La Cour peut exercer sa compétence si (2) :

· L’accusé est ressortissant d’un Etat-partie ou d’un Etat qui a accepté la compétence de la Cour.

· Le crime allégué a eu lieu sur le territoire d’un Etat-partie ou d’un Etat non-partie qui a fait une déclaration ad hoc acceptant la compétence de la Cour.

· Le Conseil de sécurité des Nations-Unis a renvoyé la situation au procureur, quelle que soit la nationalité de l’accusé ou si l’Etat est partie au Statut de Rome.

 

Une enquête peut-être ouverte par le procureur de la CPI de trois façons :

· Un renvoi de la situation par un Etat-partie

· Un renvoi par le Conseil de sécurité de l’ONU

· A sa propre initiative suite à un examen préliminaire. Autorisation des juges de la CPI requise.

 

Le principe de complémentarité est central dans le mandat de la Cour. La CPI considère en effet qu’il incombe en premier lieu aux Etats eux-mêmes d’enquêter et de poursuivre les suspects soupçonnés d’avoir commis ces crimes. La CPI n’agira que si les Etats ne peuvent ou ne veulent pas enquêter et poursuivre les auteurs présumés par leurs propres moyens.

La responsabilité pénale s’appliquera également à toute personne sans distinction, qu’il ou elles soient chef d’Etat, membre du gouvernement ou parlement, ou représentant élu d’un gouvernement.

 

A propos de la Coalition pour la CPI

La Coalition pour la Cour pénale internationale est un réseau mondial de plus de 2500 organisations de la société civile dans plus de 150 pays qui travaillent en partenariat pour renforcer la coopération internationale avec la CPI, veiller à ce que la Cour soit juste, efficace et indépendante ; rendre une justice visible et universelle ; promouvoir des lois nationales plus fortes qui rendent justice aux victimes de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide.