Dans la salle d’audience : Moments clés alors que la CPI entre en vacances judiciaires
Ntaganda : La stratégie de défense prend le devant de la scène
La défense de Bosco Ntaganda a commencé le 29 mai après que les poursuites et les représentants des victimes ont fini de présenter leurs cas respectifs. Bosco Ntaganda est accusé de cinq chefs d’accusation de crimes contre l’humanité et de treize chefs d’accusation de crimes de guerre qui auraient été commis dans la région de l’Ituri, dans l’est de la RDC, alors qu’il était chef adjoint du groupe rebelle Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC).
En avril, la CPI avait rejeté la demande de Ntaganda de surseoir à statuer, dans laquelle il alléguait qu’il ne pouvait plus être assuré d’un procès équitable en raison de l’enquête simultanée du Procureur sur les infractions à l’article 70 contre l’administration de la justice. Toutefois, les juges ont interdit l’utilisation, au cours de la procédure, des éléments de preuve recueillis dans le cadre de l’article 70 sans leur autorisation.
Les juges ont également rejeté en juin une demande de la défense visant une fin anticipée de l’affaire due à une poursuite faible et, tout en permettant à Ntaganda de faire appel de la décision, a rejeté sa demande additionnelle d’arrêter le procès entre-temps.
Le lendemain du témoignage de Ntaganda, la Chambre d’appel a réglé une question de longue date dans l’affaire, confirmant que l’ancien chef adjoint du personnel du FPLC pourrait être jugé à la CPI pour les viols et l’esclavage sexuel des membres de ses propres forces.
Dans les premières étapes de son témoignage, Ntaganda a affirmé que la milice de l’Union des patriotes congolais dans laquelle il était un haut commandant renvoyait les recrues mineures, soutenant que les camps d’entraînement appliquaient des politiques de sélection, notamment un examen visuel et l’attribution de petites tâches. Il n’a pas mentionné l’âge considéré comme acceptable pour le recrutement dans la milice.
Ntaganda a été autorisé à témoigner pendant six semaines et reprendra son témoignage après l’ajournement judiciaire.
Ongwen : L’Accusation prend forme à mesure que les témoins témoignent
Après avoir commencé en janvier 2017, le procès du commandant de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) Dominic Ongwen — sur 70 chefs d’accusation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans le nord de l’Ouganda — a atteint le cœur du procès avant que la Cour s’ajourne pour l’été, avec de nombreux témoins témoignant à La Haye et via un lien vidéo.
Un témoin a témoigné au sujet de ses fonctions en tant que baby-sitter, attribuées peu de temps après son enlèvement par la LRA. Selon le témoin, qui devait prendre soin des enfants chaque fois que l’unité changeait d’emplacement, elle a été violée par un combattant dans le foyer d’Ongwen à l’âge de 13 ans, attestant qu’elle est alors devenue sa femme. Un ancien officier du renseignement de la LRA a déclaré aux juges qu’Ongwen était en charge de « distribuer » les filles et les femmes enlevées aux combattants supérieurs.
Un autre témoin a déclaré à la Cour que même les adultes étaient enlevés et devaient porter les butins des pillages, alors que les plus jeunes étaient les plus souvent utilisés pour tuer ceux qui tentaient de s’échapper. Lors de l’interrogatoire par le représentant légal commun des victimes, le témoin a mentionné le jour où il a commencé à siffler en portant à bien ses missions pour la LRA.
En juin, une survivante d’une attaque de la LRA dans le camp de personnes déplacées internes (PDI) de Lukodi a témoigné que des soldats ougandais chargés de les protéger ont fui lorsque des rebelles ont attaqué, ajoutant que les soldats ont seulement poursuivi les rebelles le lendemain matin et ne l’ont pas interrogée quand elle était hospitalisée suite à l’attaque. Un autre témoin a ensuite témoigné que la milice qui gardait le camp de déplacés internes d’Abok n’a même pas affronté la LRA lors d’une attaque.
Un chef d’Acholi a raconté sa réunion avec Ongwen avant l’attaque du camp de déplacés internes de Pajule pour négocier une paix entre la LRA et les forces gouvernementales. Le chef d’Acholi a témoigné que des soldats du gouvernement et de la LRA lui avaient tiré dessus ainsi que sur d’autres chefs essayant de négocier la paix, alors que la défense a suggéré que le chef ait pu être un collaborateur de la LRA.
Une personne qui avait été enlevée par la LRA prétend avoir échappé au groupe rebelle après un an et neuf mois et a témoigné qu’elle est revenue dans sa communauté sous les insultes et qu’elle a difficilement pu reprendre l’école. Le témoin a ajouté qu’il avait été conseillé par d’anciens combattants de la LRA à une clinique de réadaptation de mentir sur la durée de son service au sein de la LRA afin d’allonger sa période de traitement.
Avant que la CPI s’ajourne en juillet, un ancien combattant devenu témoin a témoigné devant la Cour que le groupe d’Ongwen était l’un des trois groupes qui avaient ciblés le camp de déplacés internes de Pajule en 2003, le groupe d’Ongwen enlevant des civils et pillant le centre commerçant. Un autre a décrit sa participation, une déclaration contestée par la défense, dans les attaques menées par Ongwen contre les camps de déplacés internes d’Odek et Abok, indiquant que le but de l’attaque d’Odek était spécifiquement de réapprovisionner les réserves de nourriture épuisées.
Gbagbo & Blé Goudé : (Ré)évaluer les procédures et droits de défense
Les juges ont été occupés dans les mois précédant l’ajournement de la Cour, sur des questions de procédure importantes à mi-procès dans l’affaire contre l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo et l’ancien chef de la jeunesse, Charles Blé Goudé. Les deux sont jugés à la CPI pour leurs rôles dans un plan commun de consolidation du pouvoir après la perte de Gbagbo lors de l’élection présidentielle de 2010.
Dans leur demande que les juges autorisent les témoignages précédemment enregistrés au lieu de témoignages en direct, conformément à la règle 68 (3), pour sept témoins qui ont donné un contexte pour une attaque à Yopougon le 25 février 2011, l’accusation a soutenu que la mesure accélérerait de longues procédures de procès tout en laissant à la défense suffisamment de temps pour contre-interroger les témoins.
La défense de Blé Goudé a répondu que la règle 68 (3) n’avait pas amélioré l’efficacité du procès jusqu’à ce point, alors que la défense de Gbagbo faisait valoir que les témoignages enregistrés sur les faits contestés au cœur des accusations seraient inappropriés. En avril, les juges ont rejeté l’argument de Gbagbo sur le principe, mais ont convenu que l’argument de l’efficacité n’avait pas été convaincant et a rejeté la demande de l’accusation.
En juin, les juges de première instance ont tranché qu’en principe, selon la Règle 68 (3), les témoignages préalablement enregistrés peuvent inclure des déclarations écrites.
Le 19 juillet 2017, la Chambre d’appel de la CPI a rendu son jugement sur un problème présent depuis longtemps dans l’affaire : la détention continue de Gbagbo. Les juges sont revenus sur la 11ème décision de la Chambre de première instance de refuser la libération conditionnelle de Gbagbo, constatant un certain nombre d’erreurs potentiellement importantes. Le juge président Piotr Hofmanski a souligné l’échec de la Chambre de première instance à considérer le temps que Gbagbo avait déjà passé en détention — depuis 2011 — lorsqu’elle a évalué les risques de sa libération.
Le juge Hofmanski a ajouté que la Chambre aurait dû considérer l’âge avancé de Gbagbo comme une réduction potentielle plutôt qu’une augmentation de ses chances de fuite et que son déni de responsabilité pour les accusations de la CPI contre lui ne devrait pas avoir été pris en compte dans cette décision. La Chambre de première instance a été chargée de redéterminer si Gbagbo devrait être libéré, avec ou sans condition.
Dans le cadre d'une initiative à l'échelle de la Cour, une semaine avant le jugement, la plénière des juges de la CPI a adopté des modifications au Règlement de la Cour, en introduisant plusieurs innovations procédurales pour rendre les recours de la Cour plus efficaces.
La reprise du procès est prévue le 28 août, et tous les autres témoins à charge devraient témoigner à ce moment-là.
De « toujours en fuite » aux réparations » : Que se passe-t-il d'autre ?
En juin, Saif al-Islam Kadhafi, suspect de la CPI, aurait été libéré en Libye en vertu d’une loi d’amnistie récente. Kadhafi fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI qui date de 2011 pour deux chefs d’accusation de crimes contre l’humanité dans la situation en Libye renvoyée par le Conseil de sécurité de l’ONU à la Cour. Malgré les références à cette amnistie, le procureur général intérimaire de Tripoli a soutenu que Kadhafi ne remplirait pas les conditions en raison de la gravité de ses crimes au cours de la guerre civile de 2011 en Libye.
Le 14 juin, dû à la disparition de Kadhafi, le Procureur de la CPI, a lancé un appel aux autorités libyennes, au Conseil de sécurité, à tous les États, qu’ils soient membres de la CPI ou non, et à toutes les organisations compétentes pour qu’ils aident à assurer l'arrestation immédiate de Kadhafi et à le remettre à la CPI. Le Procureur a également appelé à la coopération pour l’arrestation et la cession de l’ancien chef de sécurité Al-Tuhamy Mohamed Khaled.
Alors que certains ont recommandé que la CPI collabore avec l'ONU et le gouvernement intérimaire soutenu par l'ONU en Libye pour assurer le transfert de Kadhafi à La Haye, d'autres ont été déçus que les juges de la CPI ne poussent pas le Conseil de sécurité à s'occuper de la non-coopération dans l'enquête sur le Darfour qu'il avait lui-même renvoyé.
Le 6 juillet, les juges de la CPI ont déclaré le gouvernement sud-africain en violation de son obligation légale d’arrêter Omar el-Béchir, suspect de la CPI et président soudanais, lorsqu’il s'est rendu dans le pays pour un sommet de l’Union Africaine en 2015. Les juges ont refusé de renvoyer la question au Conseil de sécurité, en citant l’inefficacité d’une telle réponse dans des cas passés de non-coopération avec l’arrestation d’el-Béchir. La décision a été susceptible d’appel par l’une ou l’autre partie.
La décision a été adoptée alors que la CPI recevait des soumissions de la Jordanie — l’un des trois États membres seulement de la CPI au Moyen-Orient — sur sa décision de permettre à el-Béchir d’assister au sommet de la 28ème édition de la Ligue Arabe à Amman fin mars. Le gouvernement jordanien, notifié par la CPI à deux reprises de son obligation d’arrestation et de renvoi du suspect de la CPI, a présenté dès le mois de mars sa position selon laquelle, en tant que chef de l’état d’État, el-Béchir jouit de l’immunité en vertu du droit international coutumier. Les tribunaux nationaux sud-africains, et maintenant la Chambre préliminaire de la CPI, ont rejeté un argument très similaire.
L’année dernière, la CPI a constaté que le gouvernement kenyan n’avait pas coopéré avec l’enquête de la CPI sur la violence au cours de la crise postélectorale du Kenya en 2007-2008, quelques mois seulement après que les juges ont cité des témoins susceptibles de porter atteinte à leur décision de mettre fin à la dernière affaire criminelle sur la situation.
L’une des personnes recherchées soupçonnées d'avoir soudoyé des témoins dans la situation du Kenya — Philip Kipkoech Bett — conteste maintenant le mandat d’arrêt de la CPI contre lui sur la base de droits équitables ainsi que du principe de complémentarité du Statut de Rome. À la fin du mois de juillet, un procureur supérieur a déclaré à la Haute Cour du Kenya que le gouvernement kenyan ne voulait pas poursuivre en justice Bett ainsi que Paul Gicheru, lui aussi un suspect de la CPI, dans sa fonction d’exécuter les mandats de la CPI contre les deux.
Le travail de la Cour sur l’autre aspect de l’affaire — les réparations pour les victimes suite à la déclaration de culpabilité — a vu le conseil d’administration du Fonds au Profit des Victimes (FPV) décider en mai d’allouer 1 000 000$ USD pour payer les indemnités individuelles et collectives ordonnées dans l’affaire Germain Katanga. En 2014, Katanga a été reconnu coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité lors d’une attaque contre le village de Bogoro dans l'Ituri, à l’est de la RDC, et condamné à 12 ans de prison. Le plan de mise en œuvre soumis en juillet vise à fournir le montant total pour lequel Katanga, jugé indigent, a été jugé personnellement responsable.