L’Afrique du Sud révoque le retrait du traité de la CPI : la justice internationale doit désormais répondre aux besoins de tous
Afrique du Sud/Bénin/New York — Après une campagne acharnée de la société civile, la suspension par l’Afrique du Sud des mesures visant le retrait du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) et le retrait d’un projet de loi visant à abroger les lois nationales interdisant le génocide, les crimes contre l’humanité et crimes de guerre est une indication louable de l’engagement du pays à l’état de droit, a déclaré aujourd'hui la Coalition pour la CPI.
Le 13 mars 2017, le ministre sud-africain de la Justice et des services pénitentiaires, Michael Masutha, a retiré le projet de loi de retrait du traité de la CPI destiné à supprimer la loi de mise en œuvre du Statut de Rome du pays, qui devait faire l’objet d’un examen par le Parlement sud-africain. La semaine dernière, l’Afrique du Sud a annulé auprès du Secrétaire général l’avis officiel de son intention de se retirer du Statut de Rome. Cela signifie que, pour l’instant, l’Afrique du Sud a cessé tous les processus internes et externes visant son retrait du Statut de la CPI.
« Le Southern Africa Litigation Centre se félicite du retrait du projet de loi de retrait du traité de la CPI. Le SALC ainsi que nombre d’organisations de la société civile ont communiqué à temps leurs observations sur le projet de loi de retrait qui étaient dus au plus tard le 8 mars. Les observations du SALC comportaient des recommandations pour une annulation ou un réexamen du projet de loi de retrait, en particulier une proposition visant à inclure des dispositions transitoires pour les enquêtes et les affaires en cours », a déclaré
Kaajal riviere-Keogh, directeur exécutif du Southern Africa Litigation Centre. « La révocation de l’avis de retrait communiqué à l’ONU ainsi que la révocation du projet de loi de retrait constituent une nouvelle occasion pour le Parlement sud-africain de réexaminer s’il quittera la CPI, et nous espérons que le Parlement examine sérieusement les observations présentées par les personnes concernées et les organisations de la société civile dans ses délibérations sur cette question. »
« À ce stade, il est peu probable qu’un nouveau processus de retrait sera entamé à l’avenir, compte tenu de toutes les autres grandes questions urgentes en Afrique du Sud, y compris une conférence sur les élections de l’ANC à la fin de l’année, précédée d’une conférence politique en juin et suivie des élections générales en 2019. Certes, le Parlement et plus résolument la Division de la Haute Cour de Gauteng à Pretoria ont forcé la main de l’exécutif sur cette question », a déclaré Allan Ngari, chercheur principal à l’Institute for Security Studies. « L’ANC fait face à une crise de leadership qui touche tous les domaines de la gouvernance et de la mise en œuvre des politiques. Dans sa tentative infructueuse de redorer son image aux niveaux national et international, l’ANC n’a pas vraiment pu imposer son argument (mantras du retrait collectif d’une CPI néo-colonialiste et une chance pour tracer la voie à suivre pour les États d’Afrique). Bien que l’exécutif n’ait jamais publiquement présenté de divisions sur la question de la CPI, il a tenté d’apaiser la situation et de régler plusieurs autres problèmes. »
« J’espère sincèrement que le gouvernement sud-africain a inversé la malheureuse décision de retrait du Statut de Rome qu’il avait pris précédemment. Il fera beaucoup plus pour que la justice internationale réponde aux besoins des victimes de crimes d’atrocité en restant un membre actif de la CPI », a déclaré Richard Goldstone, ancien juge à la Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud et président du Conseil consultatif de la Coalition. « Les dirigeants des pays africains ont un rôle essentiel à jouer dans la réussite future de la justice pénale internationale. C’est ce que dictent les intérêts des victimes de ces crimes affreux — que l’Afrique du Sud devrait rester engagée. »
« La décision louable de l’Afrique du Sud de révoquer le projet de loi de retrait de la CPI est un témoignage des efforts inlassables de la société civile et de beaucoup d’autres en Afrique du Sud et dans le monde entier pour protéger les progrès historiques réalisés en matière des droits de l’homme. L’ANC dispose désormais d’une occasion unique pour renouer avec la CPI et diriger
les efforts visant à ce que la justice internationale réponde aux besoins de tous », a indiqué Clément Capo-Chichi, coordinateur de la région Afrique pour la Coalition pour la CPI. « Les victimes d’atrocités, y compris les survivants de l’Apartheid, ainsi que l’ensemble de la communauté internationale peuvent se réjouir de la décision qui va à l’encontre des réponses récentes de l’Afrique du Sud aux décisions de son système judiciaire sur ses fonctions tant qu’État membre de la CPI. Il sera désormais essentiel de préserver et de se baser sur la démonstration de cet engagement renouvelé. Bien que le processus de retrait de la CPI par l’Afrique du Sud ait été freiné, nous devons rester engagés et vigilants contre les tentatives de relance du processus. »
La Coalition pour la CPI, en collaboration avec la société civile sud-africaine, a lancé une campagne appelant à l’Afrique du Sud à rester avec la CPI. Le Southern Africa Litigation Center, en particulier, a joué un rôle clé en contestant la constitutionnalité de la décision du gouvernement sud-africain de se retirer unilatéralement du Statut de Rome devant les tribunaux sud-africains. Le groupe a également contesté le défaut d’arrestation et de remise du président soudanais Omar el-Béchir en juin 2015 par le gouvernement lors de sa participation au sommet de l’Union africaine, malgré ses obligations conventionnelles et les demandes de la CPI.
Le 7 avril 2017 en audience publique, des représentants des gouvernements d’Afrique du Sud se présenteront devant les juges de la CPI pour répondre au défaut du pays d’arrêter Omar el-Béchir. Le gouvernement de l’ANC a affirmé à plusieurs reprises que l’immunité du chef de l’État en droit international coutumier n’est pas conforme avec ses obligations découlant du Statut de Rome, et qu’il n’avait pas été dûment consulté à ce sujet.
Le 22 février 2017, la Haute Cour de Pretoria a imposé un frein constitutionnel au processus de retrait du Statut de Rome de l’Afrique du Sud en ordonnant au président Jacob Zuma de révoquer l’avis de retrait du traité de la CPI d’octobre 2016 que le pays avait communiqué aux Nations Unies en l’absence d’avoir obtenu l’approbation préalable du Parlement.
Les juges ont statué que la mesure a été « précipitée, irrationnelle et inconstitutionnelle ». La société civile sud-africaine et internationale a salué la décision comme une victoire pour la règle de droit et a appelé les parlementaires à s’opposer fermement aux efforts nationaux visant à abroger la loi de mise en œuvre du traité de la CPI.
Le Comité Portfolio sur la Justice et les Services correctionnels du Parlement sud-africain chargé de formuler des recommandations au Parlement sur le projet de loi relatif à l’abrogation de la loi de mise en œuvre du Statut de Rome de la CPI, a reçu une série d’observations de la société civile, d’universitaires et d’experts juridiques demandant au gouvernement d’inverser son action.
La Commission internationale de juristes (CIJ) a soumis un mémoire au Comité en collaboration avec un certain nombre de grands juristes d’Afrique du Sud. Le mémoire a été signé par les juges retraités de la Cour constitutionnelle sud-africaine : Laurie Ackermann ; Richard Goldstone ; Johann Kriegler ; Yvonne Mokgoro, Kate O'Regan, et Zak Yacoob. Il a été cosigné par Navi Pillay, ancienne Haute Commissaire aux droits de l’homme, ancienne juge à la CPI et ancienne Présidente du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Wilder Tayler, Secrétaire général, a signé au nom de la CIJ.
Les signataires ont exhorté l’Afrique du Sud à rester partie au Statut de Rome de la CPI et à s’engager, le cas échéant avec d’autres États africains, à poursuivre activement les réformes au sein de l’Assemblée des États Parties, en vue de rendre la Cour pénale internationale plus efficace pour faire avancer les objectifs de la justice internationale.
Au cours des délibérations du Comité, la semaine dernière, le gouvernement sud-africain a pris note de la décision de la Haute Cour et a indiqué qu’il se conformerait à la décision et qu’il avait créé une équipe spéciale afin de déterminer un plan de conformité. Les membres du Parlement ont également exprimé être insatisfaits de la non-comparution des ministres de la Justice et des Relations internationales et de la Coopération, et du ministre de la Justice.
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Sur la CPI
La CPI est le premier tribunal international permanent dans le monde ayant compétence sur les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et le génocide. Le principe de complémentarité, au centre du mandat de la Cour, prévoit que la Cour n’intervient que si les systèmes juridiques nationaux sont incapables ou refusent d’enquêter et de poursuivre les auteurs de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Le système innovant mis en place par le Statut de Rome, l’une des plus grandes avancées de l’histoire en matière des droits de l’homme dans le monde vise à sanctionner les coupables, rendre justice aux victimes et contribuer à l’établissement de sociétés stables et pacifiques. La Cour a déjà réalisé des progrès significatifs en jugeant les plus hauts responsables des atrocités à ce jour. Les victimes reçoivent déjà l’aide leur permettant de reconstruire leur vie. Mais l’accès global à la justice reste inégal, et beaucoup de gouvernements continuent à nier la compétence de la CPI là où elle est le plus nécessaire.
Il y a actuellement dix enquêtes actives devant la CPI : la République centrafricaine I & II ; la République démocratique du Congo ; le Darfour (Soudan) ; le Kenya ; La Libye ; l’Ouganda ; la Côte d’Ivoire ; le Mali et la Géorgie. La CPI a émis publiquement 33 mandats d’arrêt et neuf citations à comparaître. Quatre procès sont en cours. Il y a eu deux condamnations et un acquittement. Dix examens préliminaires sont actuellement en cours, notamment dans des situations en Afghanistan, au Burundi, en Colombie, en Guinée, en Palestine, en Irak/R-U, au Nigeria, en Ukraine, au Gabon et dans les navires enregistrés des Comores, en Grèce et au Cambodge. Le Bureau du Procureur a conclu des examens préliminaires relatifs au Honduras, au Venezuela, à la Palestine et à la République de Corée, déclinant pour chaque cas d’ouvrir une enquête.
Qui sommes-nous
La Coalition pour la CPI est un réseau de 2 500 organisations de la société civile, petites et grandes, basées dans 150 pays œuvrant depuis plus de 20 ans pour la justice internationale et la poursuite des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et du génocide. Nous avons fait de la justice internationale une réalité ; maintenant nous allons la rendre efficace.
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Des experts des droits de l’homme des organisations membres de la Coalition sont disponibles pour des commentaires et des renseignements généraux. Contact : communications@coalitionfortheicc.org