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Les victimes pourraient pâtir de l’ambivalence des États vis-à-vis des ressources de la Cour pénale internationale

Author: 
Coalition pour la CPI
Le soutien sans précédent au rôle de la CPI devrait s’accompagner d’un engagement des gouvernements en faveur du financement durable qui est nécessaire afin de rendre la justice dans toutes les situations qui sont présentées à la Cour

Lettre ouverte à la Cour pénale internationale et à l’Assemblée des États Parties

La Coalition pour la Cour pénale internationale («la Coalition ») se réjouit de la réaffirmation du soutien au rôle crucial de la Cour pénale internationale (CPI) pour rendre la justice pour les crimes internationaux les plus graves, ainsi que des expressions d’intérêt de la part de ses États parties à renforcer les ressources financières et humaines de la Cour.

Si la réponse positive des États parties est le signe d’un engagement envers la justice, le financement insuffisant chronique de la Cour par les États parties a abouti à un appel exceptionnel de la part du Bureau du Procureur à fournir des contributions volontaires en dehors du budget ordinaire de la Cour, notamment via un nouveau fonds fiduciaire et la mise à disposition de personnel à titre gracieux. La Coalition n’a cessé d’attirer l’attention sur le décalage important, existant de longue date, entre la charge de travail de la Cour et les ressources dont elle dispose dans son budget ordinaire. Le budget de la Cour a été systématiquement limité par les États parties, en particulier à cause de l’insistance de certains états sur la « croissance nominale zéro » et d’enveloppes financières arbitraires, y compris pour l’aide juridique, mais aussi par le fait la Cour n’a pas demandé à plusieurs reprises les ressources dont elle avait besoin. Cela a eu un impact sur l’efficacité de la Cour et retardé l’accès des victimes à la justice. Cet demande récente  du Bureau du Procureur aux États parties de faire des contributions volontaires et mettre à disposition du personnel pour renforcer ses activités d’enquête, – ainsi que la réponse enthousiaste de certains États parties – équivaut, pour la Cour et ses États parties, à admettre qu’elle ne dispose pas des ressources adéquates.

L’appel aux contributions volontaires et au personnel détaché lorsque l’attention est portée sur une situation spécifique risque par ailleurs d’exacerber les sentiments selon lesquelles le travail de la Cour est politisé et sélectif. Les promesses de fonds et de personnel détaché faites récemment par des États parties, dans le cadre d’une situation spécifique, envoient malheureusement le message que la justice pour certaines victimes devrait être privilégiée par rapport à d'autres, en fonction de la volonté politique, y compris la volonté de mettre des ressources à disposition. Les États parties doivent avoir conscience que les perceptions de sélectivité dans la priorisation des différentes situations, ou de partialité inappropriée dans le travail de la Cour, sont préjudiciables à la légitimité de la Cour et peuvent nuire à la crédibilité de la justice qu’elle rend là où elle agit.

Les États parties à la Cour ont la responsabilité collective de garantir des ressources appropriées à l’ensemble de la Cour, en fixant son budget annuel. Cela assure la meilleure protection de l’indépendance judiciaire et des poursuites, en garantissant que des ressources budgétaires suffisantes soient disponibles pour que la Cour prenne et applique des décisions en ne se référant qu’au droit applicable et à l’équité des procédures. Les contributions volontaires au Bureau du Procureur ne permettront pas de répondre aux besoins en ressources des autres organes, parties et participants, qui augmentent pourtant en corrélation avec les activités du Bureau. Les contributions volontaires présentent par ailleurs des risques importants en ce qui concerne la durabilité des financements. En outre, l’utilisation de personnel mis à disposition soulève des considérations politiques,  y compris la perception que le personnel détaché pourrait être en position de conflit de loyautés.

Ce qui adviendra ensuite sera crucial pour le succès futur de la Cour.

L’élan observé actuellement en faveur du rôle essentiel de la CPI devrait pousser la Cour et les États parties à reconsidérer de manière fondamentale les niveaux de ressources humaines et financières dont la Cour a besoin dans son budget ordinaire pour mener à bien le mandat qui lui a été confié de façon indépendante et efficace, sans limitations arbitraires susceptibles d’avoir un effet politique ou porter atteinte aux perceptions de légitimité et d’indépendance de la Cour.

La Coalition appelle les États parties au Statut de Rome de la Cour à :

  • Adopter une approche de principe concernant les ressources de la CPI afin de garantir que la Cour dispose d’un financement sûr et à long terme, fondé sur des contributions obligatoires et non pas volontaires des États parties, et ce pour tous les organes, programmes et activités, afin de répondre à toutes les demandes qui lui sont adressées ;
  • S’engager publiquement à réexaminer les besoins budgétaires de la Cour en 2022, lors du cycle budgétaire 2023, et rejeter une approche de la « croissance nominale zéro », qui est incompatible avec le mandat et la charge de travail de la Cour ;
  • Demander à la Cour de présenter un budget-programme pour 2023 permettant de garantir des ressources suffisantes à tous ses organes, programmes et activités, et d’inclure dans son budget de référence les montants dépensés à travers le fonds d’affectation spéciale du Bureau du Procureur et l’emploi du personnel mis à disposition ;
  • Promouvoir sans relâche l’indépendance judiciaire et des poursuites de la Cour et, lorsque des contributions volontaires et du personnel détaché sont fournis en réponse à l’appel en cours, indiquer  explicitement dans les communiqués portant sur ces contributions que les ressources sont fournies pour être utilisées à l’entière discrétion du Bureau du Procureur, de façon transparente, sans que leur utilisation soit réservée à des situations ou à des enquêtes spécifiques; et veiller à ce que le personnel mis à disposition à titre gracieux soit soumis à tous les codes de conduite de la CPI pertinents, y compris les politiques en matière de harcèlement et de représailles ;
  • Divulguer de manière transparente les contributions financières volontaires ou la mise à disposition de personnel à titre gracieux et demander à la Cour de rendre compte en toute transparence de l’utilisation de ces contributions ou de ce personnel ;
  • Aider la Cour à élaborer une vision stratégique à long terme, comme le recommande l’Examen d’experts indépendants, qui servira de base pour combler l’écart entre le travail que doit accomplir la Cour et les ressources dont elle dispose via les contributions statutaires ; et
  • Rouvrir les négociations de l’Assemblée sur le budget-programme annuel aux observateurs de la société civile, conformément aux pratiques générales de transparence de l’Assemblée.

 

Contexte

Chaque année, la Cour pénale internationale présente une demande aux États parties pour son budget-programme de l’année à venir. Le budget final est adopté par l’Assemblée des États Parties, l’organe législatif et de supervision administrative de la Cour, par le biais d’une résolution à ce sujet au cours de la session ordinaire de l’Assemblée qui se tient généralement en novembre ou décembre. Le budget-programme est financé grâce aux contributions statutaires de ses États parties (Article 115 du Statut de Rome). Cette contribution est proportionnelle au revenu national brut de chaque État partie. Le budget de la CPI couvre entre autres les dépenses des Chambres, du Bureau du Procureur, du Greffe, du Secrétariat de l’Assemblée et du Secrétariat du Fonds au profit des victimes.

Afin de garantir à la Cour des financements suffisants face aux événements imprévus qui peuvent survenir, les États parties peuvent se réunir en session extraordinaire afin d’adopter un budget supplémentaire entre les cycles budgétaires ordinaires. La Cour dispose également d’un Fonds en cas d’imprévus destiné à couvrir les dépenses non prévues au moment de l’adoption du budget annuel. Cependant, les États parties ont diminué le montant alloué au Fonds en cas d’imprévus et ne le réapprovisionnent pas en totalité de façon régulière.

Le Statut de Rome prévoit par ailleurs la possibilité pour la Cour de recevoir des contributions volontaires (Article 116 du Statut de Rome) et la mise à disposition de personnel à titre gracieux (Article 44 (4)). Leur emploi a été réglementé par l’Assemblée des États parties afin de souligner leur nature limitée et exceptionnelle et à protéger l’indépendance de la Cour (Directives pour la sélection et le recrutement de personnel mis à la disposition de la CPI à titre gracieux (Annexe II de la résolution omnibus ICC-ASP/4/Res.4 (2005), pp. 44-48) ; Critères applicables aux contributions volontaires à la Cour pénale
internationale
, Résolution de l’ASP (ICC-ASP/1/Res.11), 3 septembre 2002 ; Règlement financier et règles de gestion financière de la Cour, Règlement 7.2-7.4).

La Coalition pour la CPI est le plus grand partenariat au monde œuvrant pour faire avancer la justice internationale. Forte d’organisations membres dans 150 pays, la Coalition est à la tête de la lutte mondiale pour mettre fin aux crimes relevant du Statut de Rome grâce à un engagement envers les valeurs fondamentales des droits humains et de la justice. La Coalition œuvre pour promouvoir une CPI juste, efficace, indépendante et universelle, ainsi qu’en faveur de la reddition de comptes et la réparation pour les victimes de ces crimes via le système du Statut de Rome.