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Procès historique en Guinée : réactions de la société civile

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Afrique
Le 31 juillet 2024, la Cour criminelle du Tribunal de Dixinn à Conakry a reconnu coupable l'ancien président guinéen Moussa Dadis Camara et sept autres accusés pour leur rôle dans le massacre du 28 septembre 2009, requalifié en crimes contre l'humanité. Les peines vont de 10 ans de prison à la perpétuité, avec des réparations allouées aux victimes. La FIDH, l’OGDH et l’AVIPA appellent à une condamnation solidaire de l’État pour garantir une indemnisation effective. Après des années de mobilisation, nous avons recueilli les réactions de la société civile guinéenne sur ce verdict historique et leurs recommandations pour l’avenir.

Le 31 juillet 2024, la Cour criminelle du Tribunal de première instance de Dixinn à Conakry, en Guinée, a reconnu coupable l’ancien président Guinéen Moussa Dadis Camara et sept autres personnes dans le procès des évènements du 28 septembre 2009 qui se sont déroulés au Stade national de Conakry. Lors du procès qui a duré deux ans, avec 22 mois d’audience et la participation de centaines de victimes. Les juges ont requalifié les chefs d’accusation en crimes contre l’humanité, poursuivis pour la première fois en Guinée. L’ancien président Guinéen Moussa Dadis Camara, et huit hauts gradés, ont été condamnés à des peines allant de 10 ans de prison à la perpétuité (20 ans de prison). Quatre autres accusés ont été acquittés. Le colonel Claude Pivi était le seul accusé absent lors du verdict où il a été condamné par contumace à la prison à perpétuité pour son rôle dans le massacre du 28 septembre 2009. Après plusieurs mois de cavale, Claude Pivi a été arrêté au Liberia le 17 septembre et transféré en Guinée le 19 septembre. Des réparations pour les différents groupes de victimes, notamment celles qui ont subi des traumatismes physiques et psychologiques, ont accordé entre deux millions et 1.5 milliards de francs guinéens (environ 23 000 à 172 500 dollars US). 

Tous les condamnés, sauf un, ont fait appel de la décision et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’Homme et du citoyen (OGDH), ainsi que leur partenaire, l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (Avipa), ont décidé de demander aux juges d’appel de se prononcer sur des points essentiels concernant les réparations dues aux victimes et la situation des disparus. La FIDH, l’OGDH et l’AVIPA demandent spécifiquement que l’État soit solidairement condamné afin de garantir que les victimes soient effectivement dédommagées et indemnisées 

La société civile a plaidé pendant de nombreuses années pour que le procès se tienne, et que les victimes puissent obtenir justice. Nous avons recueilli les réactions de la société civile en Guinée sur le procès, le verdict et leurs recommandations pour le futur. 

 

 timeline detailing key events related to the Conakry Stadium Massacre: 28 September 2009: Massacre at the Conakry Stadium. 2 October 2009: Authorities partially acknowledged the events. 14 October 2009: ICC Prosecutor confirms the situation in Guinea under examination. 3 November 2009: The National Commission of Inquiry (CNE) officially began its work. 29 December 2017: Conclusion of the investigation and adoption of an order for reclassification, partial dismissal, and referral to the criminal court. 28 September 2022: Beginning of the trial. 4 March 2024: Reclassification of charges from ordinary crimes to crimes against humanity. 23 April 2024: Conclusion of confrontations. 31 July 2024: Verdict convicting Moussa Dadis Camara (Guinea’s former self-declared president) and seven other officials.

Que pensez-vous du procès et du verdict rendu par le Tribunal de première instance de Dixinn de Conakry le 31 juillet 2024? Quel est l’impact de ce procès en Guinée ?  

Alseny Sall, ORGANISATION GUINÉENNE DE DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN (OGDH)

Pour l’OGDH, le verdict rendu par le tribunal criminel de Dixinn le 31 juillet 2024 dans l’affaire des massacres du 28 septembre 2009 en Guinée est une décision historique qui va s’inscrire dans la mémoire collective guinéenne et africaine même si nous trouvons certains aspects de cette décision préoccupants. 

Il s’agit d’une décision historique car c’est une première pour ce pays marqué par la culture de l’impunité depuis son indépendance pour les violations graves et parfois massives des droits humains que des anciens hauts commis de l’État, y compris un chef d’État, répondent des leurs responsabilités devant la justice guinéenne et que des faits soient qualifiés de crimes contre l’humanité par un tribunal guinéen. C’est un précédent très positif et une source d’espoir pour les défenseurs des droits humains ainsi que pour toutes les personnes qui luttent pour la justice au-delà de la Guinée. Le principal défi que nous avons en Afrique dans ce domaine de lutte contre l’impunité reste la volonté politique des dirigeants au pouvoir de créer les conditions favorables pour que des situations de ce genre qui ont endeuillé des familles et détruit des vies ne soient pas sacrifiées au nom des intérêts de la politique politicienne.  

Certains aspects de cette décision sont quand même préoccupants. En effet, s’il faut féliciter le tribunal du fait qu’il ait requalifié les chefs d’accusation en crimes contre l’humanité compte tenu de l’ampleur des massacres commis, nous n’avons quand même pas compris la logique qui a guidé le tribunal dans la distribution des peines aux accusés que nous trouvons relativement faibles par rapport aux faits retenus contre eux même si certains nous dirons que la demande de sanction ne relève des parties civiles mais plutôt du parquet. En outre, le tribunal a annoncé des montants importants en termes de réparation pour les victimes. Mais le fait que le tribunal n’ait pas engagé la responsabilité de l’État pour garantir ces paiements de réparations aux victimes pose une réelle inquiétude sur l’effectivité et la mise en œuvre de ces réparations pour ces victimes. De surcroit, un accusé condamné a déjà fini de purger sa peine prononcée et a été libéré après le procès ! Cela est d’autant plus préoccupant dans la mesure où ces personnes avaient agi en qualité d’agents publics lors des massacres. La question que l’on se pose aujourd’hui, est -ce que ces personnes devraient être libérées alors que certaines parties aux procès ont fait appel de la décision du tribunal ? La situation pour nous reste préoccupante sur ces sujets. 

Hamidou Barry, COALITION GUINEENNE POUR LA COUR PENALE INTERNATIONALE (CGCPI)

Le procès concernant les évènements du 28 septembre 2009 est un procès historique et pédagogique, pour la simple raison que, depuis 1958 à nos jours, c’est la première fois que des crimes de masse ont été jugés en République de Guinée. De manière générale, le procès s’est tenu dans de bonnes conditions. Il y a eu le respect du principe du contradictoire donc un procès équitable. Cependant, l’Etat guinéen n’a pas pris des mesures concrètes pour assurer la sécurité des victimes et des avocats, alors que la sécurité des magistrats et greffiers était assurée, ainsi que celle du lieu où se tenait le procès. Les avocats de la partie civile sont restés pendant onze (11) mois sans avoir perçu leurs honoraires, soit du 1er octobre 2022 au 21 août 2023. Une autre faiblesse du procès est l’absence d’examen du cas des charniers.  

Concernant le jugement, il est important de souligner que les peines infligées aux accusés sont en deçà de trente (30) ans, comme le prévoit l’article 77 du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (CPI). 

C’est la première fois dans les annales de la justice guinéenne qu’un ancien chef d’Etat, des ministres et des hauts gradés des forces de défense et de sécurité sont jugés. Ce qui, en principe, devrait servir d’exemple à nos dirigeants futurs et actuels. 

Par rapport à la requalification des faits en crimes contre l’humanité, nous tenons à rappeler que le pool des juges d’instruction avait utilisé l’article 28 du Statut de Rome pour inculper Aboubacar Sidiki Diakité et le capitaine Moussa Dadis Camara. Mais, en 2017, l’ordonnance de renvoi a considéré que les faits constituent des crimes ordinaires. La même position a été adoptée par la Cour d’appel en 2018 et la Cour Suprême en 2019. Par la suite, nous relevons que la requalification décidée par le Tribunal le 31 juillet 2024 est une décision salutaire, laquelle permettra de poursuivre tous les auteurs et ou complices qui sont impliqués dans les douloureux évènements du 28 septembre 2009.  

Les lacunes du procès restent que la sécurité des victimes et de tous les avocats n’était pas assurée.  

En ce qui concerne l’appel qui a été exercé par les accusés, cela fait partie des règles normales pour tout procès. C’est un droit qui est reconnu à toutes les parties. 

 

Tamara Aburamadan, HUMAN RIGHTS WATCH (HRW)

Le 31 juillet 2024, un tribunal en Guinée a condamné l’ancien président guinéen autoproclamé, Moussa Dadis Camara, et sept autres personnes, lors d’un procès historique pour des viols et des meurtres de manifestants commis en 2009. À la demande du parquet, le tribunal a également décidé de requalifier tous les chefs d’accusation de crimes ordinaires en crimes contre l’humanité. C’est la première fois que des crimes contre l’humanité sont poursuivis en Guinée. 

Ce verdict rend justice aux victimes et aux survivants qui attendaient ce moment depuis si longtemps, près de 15 ans après les exactions brutales du massacre du stade de 2009, dont les effets continuent de les hanter. Cette décision envoie un message fort et clair aux responsables de crimes graves en Guinée et ailleurs, selon lequel la justice est possible. Le procès devrait aussi permettre de tirer des leçons pour encourager les efforts de justice au niveau national dans le monde entier. 

Les condamnés ont le droit de faire appel de la décision, et certains d'entre eux, dont Moussa Dadis Camara, sont en train de déposer leurs recours après avoir reçu le verdict. 

 

A Guinean court has convicted the country’s former self-proclaimed president, Moussa Dadis Camara, among others, of crimes against humanity committed during a brutal 2009 massacre at a Conakry stadium.

This verdict offers long-awaited justice for victims and survivors. pic.twitter.com/UVOWJso4kX

— Human Rights Watch (@hrw) July 31, 2024

 

Quelles ont été les réactions parmi les victimes, les communautés touchées et le grand public ?

Alseny Sall, ORGANISATION GUINÉENNE DE DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN (OGDH)

Beaucoup des victimes qui étaient présentes ont apprécié le verdict. Certaines d’entre elles ont même versé des larmes tout en nous adressant des remerciements. Toutefois, certains d’entre elles ont déplorées la légèreté des peines distribuées aux accusés. Pour elles, les accusés méritaient des peines plus lourdes.  

De manière générale, le procès est diversement apprécié dans le pays. Si certains estiment que ce procès est une bonne leçon pour la société guinéenne et nos dirigeants, d’autres pensent que c’est un procès politique dont se servent les autorités de la transition dans le but d’engranger des points auprès de leurs partenaires. Pour ce dernier groupe, les personnes condamnées vont bénéficier rapidement des mesures de dispenses de la part autorités de la transition au nom de la réconciliation.  

Il faut quand même souligner un paradoxe: les autorités de la transition ont déployé une volonté politique pour organiser ce procès tant attendu 13 ans après les faits en un temps record, mais, au même moment, on observe des signaux inquiétants sur la protection des droits et libertés des citoyens dans la pays, qui se traduit par la restriction de l’espace civique et politique, des arrestations et détention arbitraires et/ou extra-judiciaires ainsi que des graves atteintes à la liberté de la presse en Guinée. 

 

Hamidou Barry, COALITION GUINEENNE POUR LA COUR PENALE INTERNATIONALE (CGPPI)

Les victimes ont exprimé, de manière générale, un sentiment de satisfaction, surtout avec la requalification des crimes ordinaires en crimes contre l’humanité. Le grand public a aussi exprimé sa satisfaction par rapport à la décision qui a été rendue. Toutefois, beaucoup de personnes estiment que les peines qui ont été prononcées contre les accusés sont légères. A préciser que seul l’accusé Claude Pivi, en fuite1, a été condamné à perpétuité. Les autres accusés, la peine minimale est de dix (10) ans et la peine maximale est de vingt (20) ans. 

 

Quels ont été les principaux obstacles à la tenue de ce procès et à l’obtention du verdict ?

Alseny Sall, ORGANISATION GUINÉENNE DE DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN (OGDH)

Le principal obstacle à la tenue de ce procès pendant de nombreuses années a été le manque de volonté des autorités car le dossier est éminemment politique et implique des anciens hauts dignitaires militaires, y compris un ancien chef d’État. Ainsi, des considérations de popularité et d’influence des personnes impliquées sur le terrain politique, ont contribué à freiner la volonté des dirigeants pour apporter tout le soutien technique nécessaire au pool des juges qui a travaillé pendant les enquêtes préliminaires. Malheureusement, cela a impacté négativement l’instruction préparatoire du dossier. C’est d’ailleurs ce qui explique pour nous le nombre insuffisant des personnes inculpées et renvoyées devant le tribunal pour être jugées dans cette affaire.

Hamidou Barry, COALITION GUINEENNE POUR LA COUR PENALE INTERNATIONALE (CGCPI) 

Il y a eu beaucoup d’obstacles dans la tenue de ce procès. Le premier obstacle est qu’il n’y avait pas une volonté politique réelle de l’ancien Président de la République, le Professeur Alpha Condé. Le second obstacle est qu’il y avait des pesanteurs politiques (électorales) et communautaires. 

 

Tamara Aburamadan, HUMAN RIGHTS WATCH (HRW)

Ce procès a franchi une étape après l’autre au cours des dix-huit derniers mois, réalisant des progrès significatifs en dépit de difficultés considérables. Ces progrès significatifs se sont reflétés dans le déroulement du procès, notamment lorsque les juges ont entendu 11 accusés, plus de 100 victimes et plus d’une douzaine de témoins, dont de hauts responsables du gouvernement. Les difficultés considérables comprenaient, d’un autre côté, des inquiétudes quant à la sécurité des victimes et des témoins à la suite d’un incident d'évasion de la prison, et le manque de soutien financier de la part des partenaires internationaux. 

Les audiences ont généralement lieu trois jours par semaine, à l’exception des jours fériés, des vacances judiciaires, d’une suspension d’audience de six semaines et de plusieurs autres reports plus courts, notamment en raison de l’état de santé de Dadis Camara. Suite à la demande du parquet de reclasser les accusations de crimes ordinaires à crimes contre l’humanité, les audiences du procès ont également été suspendues pendant quelques semaines, puis prolongées pendant que toutes les parties au procès présentaient leurs arguments autour de la demande de reclassification du parquet. 

La sécurité est une question centrale, compte tenu du caractère sensible des accusations et de la notoriété des accusés. Le gouvernement guinéen a déployé des centaines d’agents de sécurité autour des lieux du procès afin de garantir la sécurité tout au long du procès. En décembre 2022, un homme a été condamné pour avoir proféré des menaces en ligne à l’encontre de l’un des procureurs. 

Même si le gouvernement a mis à la disposition des victimes des moyens de transport pour se rendre au procès, selon un représentant de la société civile qui a parlé avec Human Rights Watch, certaines victimes ont fait part de leurs inquiétudes pour leur sécurité à l’idée de les utiliser, car il était étiqueté comme moyen de transport pour le procès. 

Le 4 novembre 2023, après que quatre accusés de haut rang, dont l’ancien président Dadis Camara, aient quitté le centre de détention avec les forces armées, les victimes et les survivants qui avaient témoigné au cours du procès ont publiquement exprimé leurs préoccupations quant à leur sécurité pendant que les accusés étaient en liberté. Les avocats qui ont participé à la procédure ont eux aussi fait état de menaces pour leur sécurité

Même si trois des accusés sont retournés en détention le jour même, le fait que Claude Pivi soit à l'époque toujours en liberté a amené les médias à souligner que, du fait de craintes liées à leur sécurité, plusieurs témoins avaient renoncé à témoigner. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier ces informations. 

Malgré les inquiétudes concernant les ressources disponibles exprimées par les organisations de la société civile guinéenne participant en tant que parties civiles au procès, le gouvernement guinéen a financé le procès. L'UE et les États-Unis se sont engagés à offrir un soutien financier au procès, mais le soutien financier fourni semble provenir de l'Union européenne et du Royaume-Uni uniquement pour soutenir les organisations de la société civile participant en tant que parties civiles. Ainsi qu’une contribution du gouvernement autrichien, selon des informations publiées dans les médias

 

The Office of the Prosecutor of the #ICC welcomes the judgement of 31st July 2024 by the Dixinn Court in Conakry, #Guinea, convicting perpetrators of the 28 September 2009 events at the national stadium in Conakry.https://t.co/VjzCElfL60

— Int'l Criminal Court (@IntlCrimCourt) August 1, 2024

 

Quels rôles les organisations de la société civile, les défenseurs des droits humains et les groupes des victimes ont-ils joué pour que ce procès ait lieu ? 

Alseny Sall, ORGANISATION GUINÉENNE DE DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN (OGDH)

Les organisations de la société civile nationale et internationale, notamment les ONGs des droits humains ont joué un rôle essentiel pour l’aboutissement de cette action, notamment mon organisation, l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen (OGDH), l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (AVIPA) et la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH).  

Avec l’appui de l’Union Européenne, ces organisations ont joué un rôle important dans le cadre de l’identification, la mobilisation, et l’accompagnement judiciaire des victimes tout au long du processus. En effet, la constitution de parties civiles de ces ONGs au côté des victimes dans un contexte sécuritaire difficile pour les victimes a contribué à encourager les victimes à venir témoigner devant le pool de juges pour soutenir leur travail dans le cadre de la recherche de la vérité dans ce dossier. La plupart des auteurs présumés qui ont été jugés lors de ce procès occupaient des hautes fonctions au sein de l’appareil de l’État et étaient très craints par les victimes à l’ouverture des enquêtes en 2010. Ainsi, le travail de nos organisations au côté des victimes avec l’appui de l’Union Européenne consistant à mettre en place un pool d’experts d’avocats nationaux et étrangers pour faciliter l’accompagnement judiciaire mais également la mise en œuvre des programmes d’accompagnement médical et psychologique. Ces actions en soutien aux victimes ont contribué à aider les victimes à participer au processus judiciaire tout au long de la procédure. En outre, en plus du soutien apporté au travail du pool des juges par la mobilisation et l’accompagnement judiciaire des victimes, nos organisations ont organisé régulièrement des missions de plaidoyer au niveau national et international pour rencontrer respectivement les autorités politiques, les missions diplomatiques et les institutions internationales concernées par le dossier pour faire passer les messages et préoccupations des victimes dans la tenue de ce procès. Cela a également contribué à mobiliser les autorités nationales et les partenaires autour du dossier tout au long du processus.  

Il ne faudrait pas non plus négliger le rôle joué par le système des Nations Unies dans le suivi du dossier, notamment celui du Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en Guinée qui d’ailleurs a été ouvert à la demande la société civile après les massacres du stade. 

 

Hamidou Barry, COALITION GUINEENNE POUR LA COUR PENALE INTERNATIONALE (CGCPI)

Les organisations de la société civile, les défenseurs des droits humains et les associations des victimes, ainsi que les médias ont joué un grand rôle dans la tenue du procès du massacre du 28 septembre 2009 et les jours qui ont suivi. La société civile, les organisations défense des droits humains et les avocats y ont cru et ont tenu. Le soutien financier de l’Union Européenne et de l’Open Society Initiative for West Africa (OSIWA) a aussi été indispensable pour cela. Les organisations qui ont soutenu et accompagné les victimes sont les suivantes : l’OGDH, l’Association des Victimes, Parents et Amis du 28 septembre 2009 (AVIPA), l’Association des Familles des Disparus (AFADIS), et depuis 2017, la Coalition Guinéenne pour la Cour Pénale Internationale (CGCPI), la Fédération Internationale des Ligues pour les Droits Humains (FIDH), Human Right Watch et Amnesty International. Dans le même sens, il faut reconnaitre deux grandes personnalités qui ont été les leaders pour la tenue de ce procès. Il s’agit de feu Thierno Maadjou SOW, premier président de l’OGDH et feu Maitre Bassirou BARRY, avocat à la Cour, ancien ministre de la justice et père fondateur, en 1986, la profession d’avocat en République de Guinée.  

Les organisations de défense des droits humains ont réussi à mobiliser les victimes et soutenir les associations des victimes en les sensibilisant en les accompagnant dans le cadre judiciaire et psychologique. 

 

Tamara Aburamadan, HUMAN RIGHTS WATCH (HRW)

Les organisations non gouvernementales guinéennes et internationales, notamment les associations de victimes, ont joué un rôle central dans les progrès de l’enquête sur le massacre du 28 septembre, les viols et les autres abus en se portant partie civile. Des groupes nationaux et internationaux, dont Human Rights Watch, ont également plaidé en faveur d’un soutien accru du gouvernement à l’enquête nationale. 

Le 23 septembre 2022, quelques jours avant le début du procès, la Guinée a adopté une loi sur la protection des victimes, des témoins et des personnes à risque. La loi n’a pas encore été mise en œuvre, mais des organisations guinéennes de défense des droits humains, notamment l’AVIPA et l’OGDH, ont appelé à l’adoption d’un décret d’application de cette loi. Le décret n’a pas encore été adopté et la loi doit encore être effectivement mise en œuvre. 

Les autorités guinéennes devraient renforcer les mesures de sécurité à la suite du prononcé du verdict afin de garantir la sécurité des victimes et des témoins, en particulier de ceux qui ont témoigné au cours du procès, et qui craignent d'éventuelles représailles. 

Key Information: The massacre was carried out by Guinean security forces, resulting in over 150 deaths and the rape of more than 100 women during a peaceful rally in Conakry’s stadium. The court reclassified charges from ordinary crimes to crimes against humanity, marking the first prosecution of such crimes in Guinea. The trial lasted nearly two years, starting on 28 September 2022, involving testimonies from over 100 victims, 11 accused, and more than a dozen witnesses. Guinea’s Criminal Court convicted Moussa Dadis Camara and seven officials guilty of their roles in the massacre, while four defendants were acquitted. All but one convicted individual appealed the verdict.

 Comment ce procès et cette décision contribuent-ils à la réparation et aux demandes des victimes ? Quels sont les prochaines étapes et les acteurs de la mise en œuvre des réparations et assistance aux victimes ? 

Alseny Sall, ORGANISATION GUINÉENNE DE DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN (OGDH)

Le fait déjà pour le tribunal de requalifier les chefs d’accusation en crimes contre l’humanité est déjà une première forme de réparation de la dignité des victimes qui ont été souillées par ces événements horribles et douloureux. Nous avons également salué le fait que le tribunal ait prononcé des montants importants pour la réparation pour les victimes. Mais le problème avec cette partie de la décision du tribunal est le fait qu’il met la charge du paiement de ces réparations importantes à la charge des accusés qu’il a condamnés. Or, le tribunal lui-même sait que ce procès a été parfois interrompu car certains des accusés n’avaient pas suffisamment de ressources pour payer les frais d’honoraires de leurs avocats. L’État a dû venir à la rescousse du tribunal en apportant des moyens supplémentaires à ces avocats pour qu’ils puissent accepter de continuer le procès.  

De surcroit, les accusés ont commis ces exactions sous couvert d’agents publics. Il est difficile de concevoir comment le tribunal a pu ignorer un tel fait dans sa décision. 

Cela pose un réel problème sur l’effectivité des mesures de réparations en faveur des victimes annoncées par le tribunal.  

Concernant les prochaines étapes, il y a déjà des appels de certaines parties procès de la décision du tribunal devant la Cour d’appel. Nous nous demandons s’il faudra attendre la décision de la Cour d’appel avant que les victimes ne puissent obtenir ces réparations. D’ores et déjà, nous pensons qu’il y a nécessité de soulever ce problème avec les parties impliquées dans cette affaire.

 

Hamidou Barry, COALITION GUINEENNE POUR LA COUR PENALE INTERNATIONALE (CGCPI)

Pour le moment, même si le Tribunal a ordonné l’exécution provisoire concernant les intérêts civils des victimes, force est de constater que les biens des accusés condamnés n’ont pas été identifiés, encore moins saisis. Nous estimons que la solution serait que l’Etat guinéen procède à la répartition qu’attendent les victimes, surtout que les montants alloués sont importants, pour ne pas dire faramineux.  

Concernant les prochaines étapes, il y aura d’abord la reprise du procès en appel devant la Cour d’appel de Conakry. Ensuite, il faut conduire un plaidoyer auprès de l’Etat guinéen de procéder à la réparation dont les victimes ont absolument droit. 

 

Tamara Aburamadan, HUMAN RIGHTS WATCH (HRW)

Les juges ont également statué sur les demandes de réparation et ont accordé entre deux millions et 1.5 milliards de francs guinéens (environ 23 000 à 172 500 dollars US) pour les différents groupes de victimes, notamment celles qui ont subi des traumatismes physiques et psychologiques.  

Le tribunal a ordonné des réparations contre les accusés, cependant, après une confirmation des réparations accordées en phase d'appel, s’ils ne disposent pas des fonds nécessaires, un fonds d’indemnisation pourra être créé. Un Comité de pilotage mis en place par les autorités guinéennes pour aider à l’organisation du procès a été mis à contribution pour créer un fonds d’indemnisation des victimes et rechercher des financements. 

Le Fonds au profit des victimes (Trust Fund for Victims, TFV) de la Cour pénale internationale (CPI) pourrait fournir un soutien technique - entre autres choses - sous la forme d’une formation aux juges qui seraient chargés de statuer sur les demandes d’indemnisation dans le cadre du procès du massacre du stade. 

Au-delà des réparations qui pourraient être ordonnées dans le cadre du procès, le ministère guinéen de la Justice travaille à l’élaboration et à la mise en œuvre d’un programme de réparations plus étendu pour toutes les victimes de violations graves des droits humains en Guinée depuis 1958, notamment les violences sexuelles. Ce type de réparations est connu sous le nom de réparations administratives, vient compléter les réparations ordonnées dans le cadre de la procédure judiciaire. Le soutien technique de TFV viserait à garantir que toutes les réparations ordonnées dans le cadre du procès du massacre dans le stade soient correctement intégrées aux réparations administratives potentielles. Le Fonds Mondial pour les Survivants (Global Survivors Fund, GSF) soutient le ministère guinéen de la Justice, notamment en élaborant un cadre législatif approprié. 

 

Le Bureau du Procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) a salué le verdict rendu le 31 juillet 2024 et commenté qu’ “En s’acquittant de ses obligations en vertu du Statut de Rome, la Guinée a montré clairement comment une complémentarité et une coopération efficaces peuvent contribuer à réduire le fossé de l’impunité et par conséquent la nécessité pour le Bureau d’intervenir’’. Que pensez-vous du rôle de la CPI en Guinée ces dernières années et son impact ? 

Alseny Sall, ORGANISATION GUINÉENNE DE DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN (OGDH)

En tant que juridiction qui complète les justices nationales, nous pensons que la CPI a joué un rôle important pour l’administration de la justice dans cette affaire depuis la survenue des évènements. En effet, il faut savoir que la Commission d’établissement des faits sur les évènements du stade de Conakry institué par les Nations Unies avait estimé que les crimes commis au stade de Conakry le 28 septembre 2009 et dans les jours qui ont suivi pouvaient être qualifiés de crimes contre l’humanité. Cela amena le Bureau du procureur de la Cour pénale international à annoncer en octobre 2009, l’ouverture d’un examen préliminaire sur la Guinée, puis en décembre 2011 à annoncer qu’il y avait raisonnablement lieu de croire que des crimes contre l’humanité avaient été commis en Guinée. Depuis, le Bureau du procureur a fait un suivi régulier du processus judiciaire au niveau national que la république de Guinée s’était engagée à mener conformément à ses obligations internationales.  

Tout au long du processus judiciaire au niveau national, le Bureau du procureur a fait un suivi du niveau d’avancement du traitement du dossier à travers notamment des missions de rencontres régulières avec les autorités nationales et les associations des victimes pour s’informer de l’état d’avancement du dossier et des difficultés et des défis afin de pouvoir apporter son expertise pour soutenir la procédure nationale. Ces efforts du Bureau procureur ont contribué à faire avancer la procédure au niveau national. Les rencontres avec le Bureau du procureur en Guinée ou à la Haye ont également été des occasions importantes pour nos organisations de faire passer les messages des victimes et les préoccupations relatives à la tenue de ce procès. 

Hamidou Barry, COALITION GUINEENNE POUR LA COUR PENALE INTERNATIONALE (CGCPI)

Tout d’abord, le Bureau du Procureur de la CPI a effectué plus de vingt (20) missions en Guinée. C’est grâce à ces missions, et donc à la vigilance du Bureau du Procureur, que des personnes qui étaient alors intouchables ont été inculpées.  

La coopération entre le Bureau du procureur et les autorités guinéennes ont permis à la justice guinéenne d’appliquer le principe de complémentarité dans l’affaire du 28 septembre 2009. 

 

Tamara Aburamadan, HUMAN RIGHTS WATCH (HRW)

La CPI a poursuivi un solide programme d’activités pour aider à garantir la justice pour les crimes de septembre 2009 et semble avoir été un facteur majeur pour encourager les progrès au fil du temps. L’approche du Bureau du Procureur a été caractérisée par un suivi étroit des progrès et un engagement actif et concret auprès des autorités guinéennes, renforcé par des rappels spécifiques et publics qu’une enquête de la CPI se poursuivrait en l’absence de justice au niveau local. Des visites régulières dans le pays – axées sur l’évaluation des progrès de l’enquête et l’encouragement des avancées – ont été le principal, mais non le seul, moyen de mise en œuvre de la stratégie. 

La Cour pénale internationale (CPI) a entamé un examen préliminaire de la situation en Guinée en octobre 2009. Le Procureur de la CPI a assisté à l’ouverture du procès, après quoi le Bureau du Procureur de la CPI a clôturé son examen préliminaire. Dans le même temps, le Bureau du Procureur a signé un protocole d’accord avec la Guinée, où il se dit prêt à « travailler activement et en collaboration » avec les autorités guinéennes pour que les responsables des crimes du 28 septembre répondent de leurs actes. 

Le mémorandum stipule également que le Bureau du Procureur peut reconsidérer sa décision de ne pas ouvrir d’enquête « à la lumière de tout changement significatif de circonstances, y compris l’imposition de toute mesure susceptible d’entraver de manière significative le déroulement ou l’authenticité des procédures judiciaires liées aux événements du 28 septembre 2009 ». La CPI continue de suivre l’évolution du procès, notamment dans le cadre de deux visites en Guinée en 2023 et 2024, afin d’évaluer les progrès accomplis et de contribuer de manière décisive à la bonne conduite et à la conclusion du procès. 

La CPI devrait poursuivre son étroite collaboration pour mettre en œuvre son mémorandum d’accord avec la Guinée même après le prononcé du verdict. La CPI devrait poursuivre son examen de la situation après le verdict, notamment en ce qui concerne un éventuel appel et le processus de réparations le cas échéant, ainsi que les questions de sûreté et de sécurité, y compris s’agissant de la protection des victimes et des témoins, en particulier en continuant à effectuer des visites régulières pour s’assurer que la Guinée respecte les engagements pris dans le cadre du mémorandum d’accord

 

Quel sera l’impact de ce procès sur d’autres efforts nationaux dans la région et sur la mise en œuvre du principe de complémentarité dans le système du Statut de Rome ?   

Alseny Sall, ORGANISATION GUINÉENNE DE DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME ET DU CITOYEN (OGDH)

La décision du tribunal criminel de Dixinn est une décision historique à l’échelle africaine car c’est la première fois sur le continent qu’une juridiction nationale composée uniquement de magistrats nationaux jugent et condamnent des dignitaires d’un tel un rang pour crimes contre l’humanité en vertu du principe de complémentarité du Statut de la CPI. Contrairement à ce qui a été développé par certains avocats de la défense lors de ce procès, la responsabilité première de juger revient aux Etats qui ont signé ou ratifié le statut de Rome. En vertu du principe de complémentarité, la Cour pénale internationale n’intervient qu’en cas de manque de volonté politique ou d’incapacité de juger par l’État partie. En organisant ce procès, la république de Guinée n’a fait qu’assumer ses responsabilités découlant de son statut d’Etat partie au Statut de Rome. En outre, en organisant ce procès, la Guinée a montré un exemple positif de la complémentarité entre la justice nationale et internationale sur la lutte contre l’impunité des crimes internationaux. Mieux, l’organisation de procès de ce genre par la justice nationale est très utile dans la lutte contre l’impunité car cela peut avoir des impacts positifs sur le fonctionnement du système pénal mais aussi sur la mémoire collective du pays, notamment dans un contexte où la Cour pénale internationale est de plus en contestée en Afrique. Malgré ces limites, nous considérons que la CPI demeure un outil essentiel pour la lutte contre l’impunité dans le monde ne serait-ce que le rôle dissuasif qu’elle peut avoir contre ceux qui violent impunément les droits humains dans leur pays.  

Ce procès peut avoir des effets positifs sur d’autres efforts nationaux dans la région et sur la mise en œuvre du principe de la complémentarité car le verdict constitue un précédent positif qui peut faire jurisprudence dans certains cas similaires en cours. 

 

Hamidou Barry, COALITION GUINEENNE POUR LA COUR PENALE INTERNATIONALE (CGCPI)

Les autres pays du continent, voire du monde, peuvent s’inspirer de l’expérience guinéenne sur la complémentarité pour juger les crimes qui relèvent de la compétence de la CPI à savoir : les crimes contre l’humanité, le crime de génocide, les crimes de guerre et le crime d’agression.  

La Coalition Guinéenne pour la Cour Pénale Internationale et son collectif d’avocats dans le procès du 28 septembre 2009 sont disposés à partager leur expérience et les bonnes pratiques à tout Etat qui entend mettre en œuvre le principe de complémentarité. L’objectif principal reste toujours que les juridictions nationales prennent en charge les crimes qui relèvent de la compétence de la CPI. 

 

Tamara Aburamadan, HUMAN RIGHTS WATCH (HRW)

Ce procès national historique du massacre de 2009 est riche d’enseignements importants, non seulement pour la Guinée mais aussi pour d’autres gouvernements qui cherchent à rendre justice pour des crimes graves au regard du droit international. Le devoir d’enquêter et, le cas échéant, de poursuivre les crimes graves incombe d’abord et avant tout aux autorités nationales. Il est essentiel que les autorités nationales et leurs partenaires internationaux intensifient leurs efforts pour la poursuite de la justice. 

En tant que juridiction de dernier recours, la CPI n’intervient que lorsque les tribunaux nationaux sont incapables ou non pas la volonté d’enquêter sur des crimes graves et de poursuivre leurs auteurs. Au cours des années, le Bureau du Procureur de la CPI s’est efforcé de maintenir le dialogue de manière constructive avec les autorités guinéennes, afin de les pousser à honorer leur promesse de rendre justice dans cette affaire, efforts désormais connus sous le nom de « complémentarité positive.  

Cette complémentarité positive a contribué à l’avancée significative des procédures du procès en Guinée, aboutissant à la conclusion du procès et au prononcé d’un verdict historique le 31 juillet 2024. Des enseignements peuvent être tirés du soutien de la CPI aux autorités guinéennes pour garantir la justice et la responsabilité des crimes graves commis en Guinée et ailleurs.