Réactions : Enquêtes de la CPI pour la situation en Afghanistan ?
Le 3 novembre 2017, le Procureur de la CPI, Fatou Bensouda, a annoncé qu'elle demanderait l'autorisation d'ouvrir une enquête sur les crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis depuis le 1er mai 2003 sur le territoire afghan ainsi que sur les crimes de guerre liés à la situation en Afghanistan commis depuis le 1er juillet 2002 sur le territoire des autres Etats membres de la CPI. Une décision des juges de la Chambre préliminaire sur cette demande pourrait prendre jusqu'à trois mois.
Les crimes allégués comprennent : meurtre ; persécution ; crimes sexistes ; diriger intentionnellement des attaques contre le personnel humanitaire et contre des objets protégés ; conscription d'enfants ; et violences sexuelles.
Depuis 2009, les combats en Afghanistan ont causé la mort de 24 841 civils et 45 347 blessés selon l'ONU, 2016 étant l’année la plus meurtrière à ce jour pour les enfants.
Mme Bensouda a reconnu que l'enquête nécessitera l'aide du gouvernement afghan et de la communauté internationale pour réussir : « L'objectif final portera sur les personnes les plus responsables des crimes les plus graves qui auraient été commis ... Nous nous efforcerons toujours de faire notre possible afin que notre engagement dans l'exercice de notre mandat soit sensible au sort des victimes ».
Quelles sont jusqu’ici les réactions ?
La Commission afghane indépendante des droits de l'homme a salué la décision du Procureur, estimant que « soutenir et rendre justice à l’aide de tout mécanisme national et international est essentiel pour mettre fin à l'impunité, poursuivre les auteurs et rendre justice aux victimes ». Elle a exhorté le gouvernement à remplir ses obligations conformément au Statut de Rome et à apporter un plein soutien à la CPI.
Le Groupe de coordination de la justice transitionnelle, un réseau de 26 personnes et organisations de la société civile en Afghanistan, a appelé la Chambre préliminaire à autoriser l'enquête et a exhorté le gouvernement à aider les enquêteurs de la CPI et à protéger les victimes et les témoins. Il a déclaré que la justice pourrait aider à construire une paix durable dans le pays.
« Les générations ont souffert des crimes internationaux qui ont été commis en Afghanistan, où il n'y a ni paix ni de véritable processus de responsabilité, y compris devant les tribunaux nationaux. La situation en Afghanistan ne change toujours pas », a déclaré Guissou Jahangiri, vice-président de la FIDH et directeur exécutif d'Armanshahr/OPEN ASIA.
Le responsable du bureau Justice internationale d'Amnesty International, Solomon Sacco, a qualifié cette décision de « moment décisif pour la CPI », déclarant : « La justice pour les victimes du conflit en Afghanistan a pris beaucoup trop de temps, mais des enquêtes comme celle-ci sont la raison pour laquelle la Cour a été créée - pour offrir une dernière chance à la justice lorsque les États parties ont manqué à la rendre. »
Nous nous félicitons de l’initiative de la Présidente de la CPI de convoquer une audience avec les juges de la Chambre préliminaire afin d’examiner la demande du Procureur d'ouvrir une enquête en Afghanistan », a déclaré Human Rights Watch. « Nous attendons avec impatience d'examiner la portée de la soumission du Procureur lorsque celle-ci est rendue publique », indique le communiqué. « Ayant documenté des crimes flagrants en Afghanistan qui sont restés impunis depuis de nombreuses années, nous espérons que cette étape ouvrira la voie à la justice pour d'innombrables victimes. »
De nombreux commentateurs ont réfléchi à la possibilité que des crimes présumés commis par les Américains fassent l'objet d’un examen de la part de la CPI.
Selon la Fédération internationale des droits de l'homme, « Même si les Etats Unis ne sont pas parties au Statut de Rome, la CPI pourrait mener des enquêtes sur ces allégations. La Cour a en effet compétence pour tous les crimes internationaux commis sur le territoire d’un Etat partie (incluant l’Afghanistan, ainsi que la Pologne, la Roumanie et la Lituanie, qui abriteraient des lieux de détention américains secrets), quelle que puisse être la nationalité de ses auteurs. Selon son rapport de novembre 2016, le Bureau de la Procureure de la CPI aurait donc une base raisonnable de croire que des membres des forces américaines et de la CIA aient pu se rendre coupables des crimes de guerre de torture et de traitements inhumains, de viols et d’atteintes à la dignité des personnes ».
Concernant les domaines couverts par l'enquête, le Réseau des analystes afghans a déclaré : « L'attention porterait plus sur les allégations portées contre les Etats-Unis, notamment celles contre les membres de leur agence de renseignement, la CIA et leurs militaires, lors des interrogatoires de détenus de sécurité et leur conduite de ces interrogatoires ».
Katherine Gallagher, avocate principale au Centre des droits constitutionnels qui siège aux États-Unis, a souligné la nécessité de tenir les auteurs responsables de leurs actes : « Avec l'ouverture d'une enquête exhaustive sur la situation en Afghanistan, des ressortissants américains de l'armée, de la CIA, ou des entrepreneurs privés américains, pourraient pour la première fois être tenus pénalement responsables des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis en Afghanistan ... Ce message longtemps attendu que personne n'est au-dessus de la loi est particulièrement important alors que l'administration Trump accélère les machinations militaires en Afghanistan et adopte une politique de guerre sans fin et sans sortie définitive en vue ».
« Une enquête de la CPI serait confrontée à une myriade d'obstacles, surtout au vu du refus probable du gouvernement américain de coopérer », ont déclaré Jamil Dakwar et Joshua Manson du Programme des droits de l'homme de l'ACLU. « Toutefois, si des mandats d’arrêt sont un jour délivrés, les responsables feraient l’objet d’une arrestation immédiate dans les 124 pays membres de la CPI, y compris dans tous les pays de l'Union européenne. Cette évolution spectaculaire aurait été inutile - et évitée - si les États-Unis avaient pleinement enquêté, poursuivi et puni les cas de torture, comme l'exige le droit international. Au lieu de cela, l'administration Obama a ouvert deux enquêtes minutieuses et les a clos sans inculper qui que ce soit. »
Cependant, certains ont exprimé des réserves quant à l'attention portée aux États-Unis. « La CPI peut conclure que si les allégations contre le personnel américain sont suffisamment graves pour être incluses dans l'enquête à ce stade, elles ne sont pas suffisamment graves pour justifier une action individuelle contre le personnel américain », a déclaré Alex Whiting, professeur de droit à Harvard. « La politique du Procureur en matière de sélection et de hiérarchisation des affaires indique qu'elle devrait se concentrer d'abord sur les crimes les plus graves, répandus et persistants qui auraient été commis par les Taliban et le gouvernement afghan avant même d'examiner les allégations contre le personnel américain. »
« Une fois l'enquête lancée, les Etats-Unis seront tentés de réagir de manière excessive et de revenir à une position d'hostilité totale envers la CPI, ce qui serait une erreur », a ajouté M. Whiting. « Les Etats-Unis ont essayé cette approche au cours des premières années de la Cour, mais l'administration Bush a rapidement conclu qu'il était dans l'intérêt des Etats-Unis de trouver des moyens de coopérer avec la Cour, bien que les Etats-Unis et plusieurs autres puissances ne soient pas membres de la CPI. Il y a 123 États, y compris presque tous les pays de l'OTAN, la Cour n'ira nulle part. »
Il n'y a aucun commentaire officiel n’a été émis de la part des gouvernements afghan, américain ou autre.
L'Afghanistan est un État membre de la CPI ayant adhéré au Statut de Rome en février 2003. En 2007, le procureur de la CPI a annoncé un examen préliminaire pour déterminer si les actions des forces gouvernementales afghanes et étrangères, ainsi que des forces antigouvernementales telles que les Talibans après le 1er mai 2003 peuvent constituer des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. En 2018, un nouveau code pénal incorporant des dispositions sur les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, le génocide et le crime d'agression - les quatre principaux crimes internationaux relevant de la compétence de la CPI - entrera en vigueur en Afghanistan.