UE : Soutenir les efforts pour renforcer la justice internationale
Bruxelles, le 23 mai 2022
L’Union européenne et ses États membres devraient prendre des mesures concrètes pour renforcer le système de justice internationale, notamment en engageant des poursuites au niveau national pour les crimes relevant du droit international, ont déclaré aujourd’hui huit organisations de défense des droits humains. Les États membres devraient étendre la portée de la justice en adoptant les législations nécessaires, en créant ou en renforçant les unités spécialisées dans les crimes de guerre, en renforçant la coopération entre États et en apportant un plus grand soutien financier et politique à la Cour pénale internationale (CPI) et aux autres mécanismes d’établissement des responsabilités afin qu’ils puissent accomplir leur travail en toute impartialité.
Les huit organisations de la société civile sont Amnesty International, le Center for Justice and Accountability (CJA), Civitas Maxima, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains (ECCHR), la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), Human Rights Watch, REDRESS et TRIAL International. La Coalition pour la Cour pénale internationale, dont ces organisations sont membres, a également approuvé cette déclaration, qui a été rendue publique à l’occasion de la Journée de l’Union européenne contre l’impunité, observée à La Haye le 23 mai 2022 et organisée par la présidence française du Conseil de l’UE, en collaboration avec la Commission européenne, le Réseau génocide de l’UE et Eurojust.
« Cette année, la Journée européenne contre l’impunité met en lumière la nécessité de faire davantage pour répondre efficacement aux graves violations des droits humains dans le monde », a déclaré Balkees Jarrah, directrice par intérim du Programme Justice internationale. « Les pays de l’UE devraient étendre leur soutien de principe à l’obligation de rendre des comptes pour les atrocités commises non seulement en Ukraine, mais aussi dans le cadre d’autres conflits où les civils subissent des abus généralisés. »
Depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février, les pays de l’UE et d’autres gouvernements se sont efforcés de mobiliser une série d’outils en vue de garantir des poursuites judiciaires pour les crimes graves commis dans le cadre de ce conflit. L’UE a également indiqué clairement qu’elle soutient toutes les mesures visant à garantir la justice pour les crimes graves, où qu’ils se produisent. L’UE et ses États membres devraient s’appuyer sur ce soutien sans précédent à l’obligation de rendre des comptes pour les crimes commis en Ukraine afin de renforcer la cause de la justice dans le monde entier, ont déclaré les organisations de défense des droits humains.
Les gouvernements et les organes judiciaires internationaux ont pris un certain nombre d’initiatives en matière de responsabilité en réponse aux crimes commis en Ukraine. Le 2 mars, le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé l’ouverture d’une enquête officielle à la demande d’un groupe d’États parties à la CPI. La France, l’Allemagne, la Lituanie, la Pologne et la Suède ont ouvert leurs propres enquêtes pénales en vertu du principe de compétence universelle. Le 4 mars, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a voté en faveur de la création d’une commission d’enquête internationale chargée de documenter les crimes de guerre et les violations des droits de la personne. L’UE a exprimé son soutien à tous ces mécanismes visant à enquêter et à rassembler des preuves de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité perpétrés en Ukraine.
À la suite de sa décision d’ouvrir une enquête sur l’Ukraine, le Procureur de la CPI a appelé les États parties à la Cour à fournir à son bureau des ressources pour soutenir son travail dans toutes les situations faisant l’objet d’une enquête de la Cour, par le biais de contributions volontaires et de personnels. Plusieurs pays membres de l’UE ont depuis annoncé qu’ils fourniraient à la Cour des ressources financières et humaines supplémentaires en dehors de son budget ordinaire.
Si la réponse positive des États parties à la CPI à la demande du Procureur témoigne d’un engagement en faveur de la justice, elle traduit également une prise de conscience, à savoir que la Cour ne dispose pas des ressources nécessaires pour s’acquitter de son mandat, ont relevé les organisations. Ces récents engagements pris par les États parties dans le contexte d’une situation spécifique risque également de donner lieu à des perceptions de politisation et de sélectivité dans le travail de la Cour, susceptible de nuire à sa légitimité.
Les États parties à la CPI devraient adopter une approche de principe pour s’assurer qu’elle dispose d’un financement durable et de ressources suffisantes dans le cadre de son budget ordinaire pour poursuivre les crimes graves de manière efficace et indépendante dans le cadre de tous ses organes, programmes et activités.
Avec l’Ukraine, le nombre de situations faisant l’objet d’une enquête devant la Cour est passé à 16, dont une enquête sur les crimes commis pendant la guerre de 2008 en Géorgie. D’autres enquêtes en cours portent sur des crimes internationaux graves commis dans le monde entier, notamment au Bangladesh/Myanmar, au Soudan et en Palestine.
« Le fait que la charge de travail de la CPI ait dépassé ses ressources disponibles n’est pas nouveau : il s’agit d’un problème systémique qui nécessite une solution systémique en renforçant son budget ordinaire, plutôt qu’en s’appuyant sur des contributions volontaires », a constaté Melinda Reed, responsable par intérim de la coalition pour la CPI. « Il est clair que le sous-financement chronique de la CPI par les États au fil des ans a eu un impact négatif sur son efficacité et retardé l’accès des victimes à la justice. »
Tous les États membres de l’UE sont parties au Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI. L’UE devrait s’efforcer d’étendre la portée de la Cour en incitant d’autres pays, comme l’Ukraine, les États-Unis, la Libye, le Soudan du Sud et le Soudan à ratifier le traité et à y devenir parties. Actuellement, 123 des 193 États membres des Nations Unies sont parties à la Cour. L’universalité du Statut de Rome étendrait la protection juridique aux victimes de crimes internationaux dans le monde entier et contribuerait à garantir que les responsables des crimes les plus graves ne puissent échapper à la loi.
La Journée européenne contre l’impunité se déroule sur fond d’arrivée massive, dans les pays européens, de populations ayant fui les zones de conflit en Ukraine, en Syrie, en Irak et en Afghanistan. Cette situation a créé une opportunité unique pour les autorités judiciaires des États européens d’apporter une contribution significative à la justice pour les atrocités commises dans ces pays. La présence accrue de réfugiés et de demandeurs d’asile signifie que des victimes, des témoins, des preuves matérielles et même certains suspects, auparavant inaccessibles, sont désormais à la portée des autorités judiciaires nationales.
Ces dernières années, les juridictions nationales d’un nombre croissant de pays, principalement des États membres de l’UE, ont engagé des poursuites en vertu du principe de compétence universelle pour des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des génocides commis à l’étranger. En janvier, un tribunal allemand a reconnu un ancien officier des services de renseignement syriens coupable de crimes contre l’humanité et l’a condamné à la prison à vie dans une première affaire de ce type. D’autres affaires portées devant les tribunaux européens concernent des crimes commis au Rwanda, en République démocratique du Congo, en Afghanistan, en Irak, au Liberia et en Gambie, entre autres.
Les affaires de compétence universelle constituent un élément de plus en plus important des efforts internationaux visant à faire en sorte que les responsables d’atrocités répondent de leurs actes, à rendre justice aux victimes privées de recours, à dissuader la commission de futurs crimes et à faire en sorte que les pays ne deviennent pas des sanctuaires pour les auteurs de violations des droits humains, ont déclaré les groupes. Toutefois, les demandes accrues adressées aux autorités judiciaires nationales soulignent la nécessité d’apporter des améliorations supplémentaires pour garantir l’efficacité des poursuites nationales dans les cas de crimes internationaux graves.
Reconnaissant le rôle important des États membres de l’UE pour mettre fin à l’impunité, l’UE a adopté en 2002 et 2003 deux décisions créant un réseau d’enquêteurs et de procureurs travaillant sur des affaires impliquant des crimes de droit international, le Réseau génocide de l’UE, et recommandant aux États membres de créer leurs propres unités spécialisées dans les crimes de guerre. Plusieurs pays de l’UE, dont les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark, la Suède, la France et l’Allemagne, ont créé de telles unités, composées de policiers et de procureurs dotées d’expertises spécifiques. Le réseau génocide de l’UE a renforcé la coopération et facilité la diffusion des pratiques optimales entre ses États membres.
Tous ne disposent pas d’une législation nationale définissant les crimes relevant du droit international, et certains n’ont pas la compétence nécessaire pour poursuivre ces crimes lorsqu’ils sont commis à l’étranger, ce qui crée des lacunes en matière d’impunité au sein de l’UE. Seule une minorité d’États membres de l’UE a mis en place des unités spécialisées dans les crimes de guerre, et davantage devraient envisager de le faire, ont préconisé les organisations. Même dans les pays qui disposent d’unités spécialisées dans les crimes de guerre, celles-ci manquent souvent de personnel et de ressources, avec seulement une poignée d’enquêteurs et de procureurs malgré un nombre croissant d’affaires.
Les gouvernements de l’UE doivent veiller à ce que leurs services de police et de justice disposent des ressources et du personnel adéquats et leur fournir une formation continue pour faire face à l’éventail de situations où des crimes graves sont en cours.
« Le nombre croissant d’affaires de compétence universelle à travers l’Europe montre que les enquêtes et les poursuites pour crimes graves par les tribunaux nationaux sont possibles avec les outils adaptés en place », a déclaré Philip Grant, le directeur exécutif de TRIAL International. « Une justice efficace et impartiale pour les crimes graves est envisageable lorsque les lois et les ressources adéquates, l’engagement institutionnel et la volonté politique sont réunis. »