Les autorités kenyanes ont omis à trois reprises de mettre en place un processus national pour enquêter et poursuivre leurs responsables. En mars 2011, la CPI a publié des citations à comparaître pour six suspects de haut-rang dans les deux camps du conflit politique au Kenya. Cependant quatre suspects - deux d’entre eux sont toujours dans le gouvernement du pays - ont finalement été retirés par manque de preuves et en raison de l’ingérence des témoins dénoncée par le procureur. Cette affaire a provoqué une campagne anti-CPI, avec des intimidations et des menaces à l’encontre de la société civile, la menace de se retirer du Statut de Rome et des tentatives d’interférer dans les décisions judiciaires de la Cour, au plus haut niveau du gouvernement kenyan.
Le procureur de la CPI ouvre sa première enquête proprio motu
En novembre 2009, le procureur de la CPI use pour la première fois de sa propre autorité pour obtenir l’autorisation d’ouvrir une enquête en l’absence du renvoi d’un Etat membre de la CPI ou du Conseil de sécurité de l’ONU. Dans une décision majoritaire de mars 2010, la Chambre préliminaire II trouve des arguments raisonnables pour ouvrir une enquête au Kenya dans le cadre des violences postélectorales de 2007-2008, partant du fait que l’examen préliminaire du procureur a montré l’incapacité du Kenya à établir un tribunal compétent afin de poursuivre les auteurs de cette violence généralisée. La CPI émet des citations à comparaître pour six Kenyans haut-placés.
En mars 2011, la Chambre préliminaire II a publié des citations à comparaître pour six suspects de haut-rang dans les deux camps politiques des élections de 2007, soupçonnés d’avoir organisé des attaques contre des partisans politiques rivaux. Ces six suspects ont fait leur première apparition devant la Cour en avril 2011. L’une des affaires concernait les politiciens Henry Kosgey et William Ruto, qui deviendraient vice-présidents et Joshua Sang. Une autre affaire a impliqué les politiciens Uhuru Kenyatta, futur président, Francis Muthaura, ainsi qu’un ancien commissaire de police, Mohammed Hussein Ali.
Les juges envoient Kenyatta / Muthaura / Ruto / Sang au procès
En janvier 2012, la Chambre préliminaire II a approuvé la tenue d’un procès dans les affaires contre Ruto et Sang contre Muthaura et Kenyatta suite aux audiences de confirmation des charges, respectivement en septembre et octobre 2011. En mai 2012, la Chambre d’appel a rejeté à l’unanimité la remise en cause de la compétence de la CPI concernant la situation au Kenya. Les juges de la Chambre préliminaire II ont refusé de confirmer les allégations contre Kosgey et Ali.
Toutes les charges retirées à cause de la rétractation des témoins
En mars 2013, le procureur de la CPI a retiré toutes les charges portées contre Muthaura, mentionnant des problèmes liés à la rétractation des témoins, à la coopération limitée du Kenya et à l’absence de preuves décisives. En décembre 2014, le Procureur a retiré les charges retenues contre Kenyatta avant le procès, évoquant des difficultés similaires. En avril 2016, la majorité des juges de la Chambre de première instance V a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour poursuivre le procès Ruto / Sang ouvert depuis un an, et que les allégations portées étaient entachées par la falsification des témoins. Le Bureau du procureur a souligné la possibilité de réouvrir les affaires si de nouvelles preuves faisaient jour.
Mandats d’arrêt émis pour falsification de témoins dans les affaires du Kenya
Des allégations de falsification de témoins ont été fortement mentionnées dans les affaires de la CPI liées à l’enquête préliminaire au Kenya en 2007-2008. Beaucoup de témoins à charge ont effet retiré leurs déclarations tandis que d’autres ont disparu. L’accusation a pointé des affaires de corruption en échange de retraits et de rétractations, et a reçu l’autorisation d’émettre des mandats d’arrêts contre trois Kenyans pour infractions contre l’administration judiciaire.
La campagne anti-CPI du Kenya
Alors que les procédures de la CPI étaient en cours contre eux, Kenyatta et Ruto ont décidé de concourir ensemble aux élections présidentielles kenyanes de mars 2013, qui désignèrent Kenyatta président et Ruto son adjoint. Les deux ont été accusés de se servir des accusations portées contre eux comme d’une plateforme pour contrecarrer les intérêts de la CPI à l’Ouest du pays et de se servir de leur statut officiel pour influencer les procédures de la Cour.
A un niveau international, le Kenya a tenté, mais échoué, de rallier le soutien du Conseil de sécurité de l’ONU en faveur du report des examens préliminaires de la CPI. Le Kenya a également appelé les membres de l’Union africaine à faire collectivement pression sur la CPI, l’accusant d’être une institution discriminatoire, et appelant au retrait en masse si, par exemple, l’immunité officielle n’était pas reconnue ou si les charges contre Kenyatta et Ruto n’étaient pas retirées.
Les menaces de retrait du Statut de Rome
Au niveau national, les membres du gouvernement kenyan ont à maintes reprises menacé de se retirer du Statut de Rome dans le cadre du plan kenyan visant à prévenir les affaires de violence postélectorale 2007-8. En septembre 2013, les législateurs anti-CPI ont lancé un vote raté pour le retrait du Kenya de la CPI, retirant les crimes internationaux de sa législation, et cessant de coopérer avec la Cour. La Coalition kenyane et africaine ainsi que les membres de la société civile se sont fermement opposés à ce plan.
Le Kenya fait fortement pression sur les sessions de l’AEP
Lors de la 12e session des Etats parties en novembre 2013, et sous la forte pression du Kenya, les Etats parties ont adopté des modifications aux règles de procédures et de preuves de la Cour concernant les assignations à comparaître, permettant d’excuser l’absence aux procès de personnes remplissant « des fonctions publiques élevées au niveau national ». Il incombe aux juges de première instance de la CPI de statuer sur ces demandes, en tenant compte de facteurs tels que les intérêts de la justice et la nature de l’audience en question. La Coalition a contesté le processus qui a conduit à ces changements.
La présence de l’accusé dans le prétoire via un lien vidéo, l’usage de témoignages enregistrés antérieurement lors des audiences, et le pouvoir discrétionnaire des juges de première instance pour tenir une audience hors de la Haye ont également été rendus possibles par les amendements au RPE de 2013.
À la suite de la 13ème session de l’AEP en décembre 2014, la société civile s’est fermement opposée à une proposition du Kenya visant à modifier le Statut de Rome pour permettre l’immunité pour les chefs d'État et les hauts représentants du gouvernement.
Lors de la 14ème session de l’AEP en novembre 2015, les gouvernements ont accepté de tenir compte du projet d’ordre du jour proposé par le Kenya sur l’application de la règle 68 des règles de procédures et de preuves de la Cour quant à l’utilisation de témoignages enregistrés antérieurement. Une question qui avait fait l’objet d'un recours dans le procès Ruto / Sang. Bien que la session se soit terminée sans mesure décisive de la part des États parties, les gouvernements ont convenu d’inclure dans le rapport final de l’Assemblée une interprétation de la règle 68. La Coalition a dénoncé le dangereux procédé consistant à essayer d’influencer politiquement les questions soumises au contrôle judiciaire.
Le Kenya n’est pas parvenu à imposer une procédure nationale pour traiter les violences postélectorales 2007-08
Les tentatives nationales visant à traiter les violences postélectorales incluaient la création de la Commission pour la Vérité, la Justice et la Réconciliation, et des discussions gouvernementales sur l’usage de cours pénales déjà existantes au lieu d’un tribunal convoqué séparément. Les amendements constitutionnels qui voulaient établir ce tribunal, comme recommandé par la Commission Waki, ont par trois fois échoué à obtenir le consensus nécessaire au Parlement. Le Kenya a par conséquent manqué la date limite des négociations de septembre 2009, conclue entre le Kenya et le procureur de la CPI en juillet 2009, pour lancer des poursuites nationales.
La commission Waki partage avec le procureur de la CPI la preuve des violences postélectorales
En juillet 2009, suite à l’échec pour établir des procédures nationales de responsabilisation pour les violences postélectorales, le Procureur de la CPI a reçu six boites contenant des documents et du matériel réunis par la Commission Waki, commission d’enquête internationale créée par le Kenya pour enquêter sur les violences postélectorales.
Les preuves de Waki contenaient aussi une liste de suspects que le commission jugeait les plus responsables des violences postélectorales. En plus de ce matériel fourni par la Commission, le procureur de la CPI a reçu des informations des autorités kenyanes sur les mesures de protection des témoins et sur le statut des procédures judiciaires nationales.
De nombreuses organisations de la société civile ont accueilli très favorablement la décision de la CPI visant à obliger les plus hauts responsables au Kenya à rendre des comptes, cela démontrant que personne n’est au-dessus des lois. La société civile kenyane a été la première à en appeler à la justice pour les victimes des violences postélectorales de 2007-08, en soutenant le processus de la CPI et en s’opposant activement aux tentatives politiques d’interférer dans les affaires en cours ou de saper l’image de la Cour au niveau national et international. Ce soutien est venu au prix d’une intimidation exercée sur la société civile et de la diminution de l’espace d’intervention.
Toutefois, avec le retrait des charges de la CPI quant aux violences postélectorale de 2007-2008, certains groupes de la société civile ont exprimé des doutes quant à la capacité de la Cour à surmonter les défis politiques, et de la déception à l’égard de l’incapacité du Fonds d’affectation spécial à fournir une assistance générale aux victimes au cours de ces presque huit années où la CPI a traité l’affaire des violences postélectorales. Regrets aussi à l’égard du manque de coopération et de protection des témoins par les autorités kenyanes et du manque d’initiatives au niveau national pour garantir une justice totale aux victimes de ces violences.